Ephraïm Grenadou, drôle de nom pour un paysan français comme les autres. Comme les autres ? Pas si sûr. Ephraïm Grenadou naît en 1897 à St Loup, village de la Beauce (à deux pas d'Orléans), où il a vécu toute sa vie jusque dans les années 70. Ce qui fait a priori sa singularité est qu'il est partit de quasiment rien (son père l'employait) à une exploitation de plus de 170 hectares, avec 6 tracteurs, 1 moissonneuse-batteuse… Personnage franc, malicieux, simple, il est mentionné dans les livres d'histoire pour sa phrase lucide sur ses conditions de vie durant la deuxième guerre mondiale : « Je mangeais moitié plus qu'avant guerre, en vérité, j'engraissais ». Il a vécu deux guerres mondiales, dont une en tant qu'engagé et a vu des mutations décisives s'exercer dans l'agriculture française. Il en a été acteur : les innovations dans son exploitation ont retentit sur l'ensemble du village et poussé les autres à faire de même.
Mais ce texte est tout d'abord un récit de vie, un témoignage. Il est donc surprenant de voir qu'il est réédité dans la collection Points histoire. Peut il donc être considéré comme un outil pour l'historien ou bien comme une autobiographie d'un paysan sympathique ? On peut donc se demander en quoi le récit de la vie d'Ephraïm Grenadou, paysan français peut-il donner à voir le monde rural de la 1e moitié du XXe siècle ?
[...] Mais c'est avant tout la parole de Grenadou qui transparaît avec ses formulations patoisantes, ses fautes de syntaxe, ce qui donne un cachet au témoignage Le témoignage, une valeur historique ? a. Des souvenirs fiables ? On peut toutefois se poser la question de l'authenticité du témoignage. Car même si Grenadou dit que tout est vrai, il est impossible de vérifier ce qu'il dit. Comment l'historien peut-il alors utiliser ce témoignage en histoire ? Comme le dit Abastado, l'important est de décoder, d'analyser la rhétorique du récit, sa structure, le choix des informations. [...]
[...] Grenadou est un paysan qui a changé du jour au lendemain de métier, comme beaucoup d'autres. Il est devenu soldat, et par la même occasion a été confronté à un monde inconnu : celui de la ville, celui de l'inhumanité, celui de la souffrance. Grenadou est perdu et son amour pour les animaux le pousse à demander un poste dans la cavalerie. Là il retrouve des paysans comme lui, qu'il comprend, et s'insurge de la conduite de ceux de la ville qui n'y comprennent rien aux chevaux. [...]
[...] Un individu ou la représentation d'une catégorie sociale ? La question de l'individu est donc au centre de l'utilisation de ce récit de vie. Mais la façon de percevoir la vie, le monde, le travail ne relève t il pas autant d'un conditionnement social ? Car l'histoire d'un homme n'a en elle-même pas d'intérêt particulier que celle d'un autre. Qu'il appartienne à une catégorie sociale qui pose la question à l'époque de la publication (années 70) car confronté à des changements décisifs, c'est cela qui compte. [...]
[...] Pour lui, le rôle de la famille et des amis est essentiel. La sociabilité paysanne est un soutien, une échappatoire, une distraction bienvenue. Ses achats de terre, ses emprunts d'argent et ses achats d'engins agricoles relèvent tout autant de sa volonté de moderniser que du soutien monétaire de ses amis et de sa famille. La première machine agricole est achetée avec son père, il s'associe avec un ami (Richer) pour prendre les plus gros risques (tracteurs, engrais, nouvelle façon de labourer), et reçoit l'aide d'un docteur qui tenait une ferme expérimentale pour lancer son élevage de cochons. [...]
[...] Il a pris conscience qu'il fallait fixer cette vie par écrit, loin de vouloir faire du pittoresque et fixer cette vie dans le folklore, cette démarche montre tout de même la volonté de témoigner d'une époque, d'une sociabilité que cet homme de la ville a perçue. C'est donc encore une fois un urbain qui perçoit la nécessité de témoigner, de parler d'un monde qui s'efface, qui disparaît (Nadaud a vécu à la ville, Guillaumin était en contact avec la ville, Balzac, Zola et Georges Sans étaient urbains). Mais contrairement aux écrivains du XIXe siècle, Prévost laisse la parole à Grenadou, s'efface derrière sa fonction d'organisateur du récit. c. [...]
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