Le document concernant le grand hiver de 1709 est un témoignage, c'est un extrait d'un livre de raison rédigé par Jean-Henri Huguenot, et qui fut publié dans une compilation de sources en 1969 par Philippe Wolff, sous le titre de « Documents de l'histoire du Languedoc ».
Le livre de raison est l'une des expressions essentielles de l'écriture privée sous l'Ancien Régime, de la fin du XVIe siècle au XVIIIe siècle. Nous pouvons en donner la définition de Furetière, tirée de son « Dictionnaire universel » de 1690 : « Le livre de raison est un livre dans lequel un bon ménage ou marchand écrit tout ce qu'il reçoit et dépense pour se rendre compte de toutes les affaires ». Mais si le compte est l'armature du livre de raison, il s'enrichit d'informations et de développements de toutes natures. Puisque c'est un livre de famille, rédigé par le chef de famille, qui doit être transmis, il est aussi une mémoire écrite.
Jean-Henri Huguenot est donc très probablement un chef de famille, installé à Montpellier puisque c'est sur cette ville et ses alentours que se focalise le texte. Les mentions à caractère économiques ou politiques sont nombreuses : L10, description de la hausse des prix, L26, situation des cultures, L13 mention élogieuse est faite de l'Intendant M. de Basville, L34, commentaire sur la politique royale, L39, point sur la situation des institutions provinciales,…
Sa famille est sans doute bien installée dans le paysage montpelliérain, Huguenot semble bien informé et avoir un esprit critique qui à la prétention d'être assez global. Il est donc certainement un bourgeois de Montpellier, protestant comme tendrait à l'indiquer son nom. S'il s'avère que l'auteur est protestant, il doit donc aussi être un membre important de cette communauté, comme notable, dans la région. Cela montrerait aussi que durant la période, l'ennemi intérieur ne représente plus de danger aux yeux du pouvoir royal, surtout en cette période de conflit extérieur. Cependant, on ne peut pas évacuer l'hypothèse qu'il soit un protestant qui collabore avec le pouvoir royal pour bénéficier d'un meilleur traitement. En tous les cas, il n'a pas laissé de grande trace dans l'histoire.
Il est, comme ce fut dit au départ, question dans ce témoignage du « grand hyver de 1709 ». Dans la mémoire collective, c'est l'hiver ou le vin gelait jusque sur la table du Roi. Il fut la cause de disettes et de famines aux lourdes conséquences démographiques, ce que nous détaillerons par la suite. Il se situe dans le petit âge glaciaire qui marque le règne de Louis XIV, et fut prolongé par l'hiver suivant. Cependant, dans le cadre de ce petit âge glaciaire, l'hyver de 1709 fut moins rude que ceux de 1693-1694.
On retrouve cependant dans les deux cas la configuration tout à fait typique des crises du siècle, ce en quoi le témoignage de Jean-Henri Huguenot nous intéresse, puisque l'hiver de 1693 survenait en pleine guerre de la ligue d'Augsbourg, coalition pour ainsi dire de toute l'Europe contre la politique de Louis XIV d'hégémonie française. Le « grand hyver de 1709 », quant à lui, suivi de celui de 1710, surviennent au milieu de la rude guerre de succession d'Espagne. La guerre de Succession d'Espagne a opposé de 1701 à 1714 la France et l'Espagne à une coalition européenne. L'enjeu en était le trône d'Espagne et, à travers lui, la domination en Europe. En 1706, la bataille de Ramillies marqua le début de long revers pour la France : elle perd le contrôle sur les Pays-Bas, et mène à la perte de l'Italie du Nord lors de la bataille de Turin. 1709-1710 incitèrent Louis XIV à négocier et à prévoir de grosses concessions aux Alliés.
Au-delà du contexte de guerre, et de la crise démographique classiquement entraînée par les rudes hivers du grand siècle, la France connaît une détresse financière. En 1708, le Contrôleur général des finances, il s'agit de Nicolas Desmarets, notait : « il faut connoître le mal, mais il falloit le cacher en même temps, afin de ne point rendre publique la triste situation ou se trouvait le royaume ».
L'étude du texte nous permettra de développer ces différents aspects, à travers l'étude des causes et manifestations de la crise, abordées par Huguenot, ainsi que l'inégalité face à la crise (bourgeois et officiers, paysans et grands propriétaires, villes et campagne, …) et les mesures prises dans la crise, efficaces ou non, émanant du pouvoir central ainsi que des institutions et personnalités provinciales.
Nous verrons ainsi, comment ce témoignage, issu d'un simple livre de raison, peut nous éclairer sur une des crises typiques de l'Ancien Régime, qui nous révèle sa fragilité.
[...] Voire L39 à 42. Mais les difficultés financières qu'il décrit s'expliquent, non pas seulement en partie des guerres et du dérèglement de l'économie, mais aussi par les ressources investies visant à limiter les effets du grand hiver et sa crise. Jean-Roland Malet, qui fut de 1708 à sa mort en 1736, premier commis du Contrôleur général des finances, tente de prévoir en 1708 le budget de 1710. Les recettes seraient de 110 millions de livres. Les dépenses de 207 millions. [...]
[...] Un hiver qui tue les espoirs de récolte, c'est cependant la possibilité de ressemer au printemps, puisque c'est 6 mois de délai pour prévoir. Il nous reste à voir quelle est la catégorie des agriculteurs qui s'en sort le mieux, mais nous y reviendrons dans notre seconde partie. L10 : tout le peuple s'étant trouvé dans une grande disette du blé par opposition aux menus grains. Sous l'ancien régime, consommées sous forme de pain (trempé dans la soupe), de galette et de bouillies, les céréales restaient la base de l'alimentation du plus grand nombre. Il n'est pas fait mention d'élevage ici. [...]
[...] Michel Lachiver, prenant comme base un mois de janvier moyen des dix dernières années, estime à environ personnes le nombre de mort, en France évidemment. Le seul mois de janvier 1709 a connu décès. Ce n'est pourtant pas excessif puisque des épidémies éclatant durant l'été ont pu causer beaucoup plus de pertes humaines, que cet excédent de morts. La crise de 1709 fera morts supplémentaires par rapport aux autres années. Cependant, si l'on reprend la citation L4, on voit le rapport qui est de suite fait entre mortalité et disette. La disette L5, toute la récolte périt. [...]
[...] La campagne environnante est délaissée aux profits de marchés plus extérieurs, sans qu'elle n'en profite. Cependant, la situation de la ville est décrite en des termes catastrophistes : bien des personnes ne faisaient point de façon de demander l'aumône publiquement qui auraient eu honte de la demander dans un autre temps à la lignes 21-22. L35-38, ce sont les familles les mieux établies qui souffrent de la crise. On imagine alors, compte tenu de plus, de ce que nous avons expliqué précédemment, l'état général des campagnes : Il y avait encore plus de misère à la campagne ou la plupart mangeaient sans pain L25. [...]
[...] Seuls alors peuvent faire face ceux qui ont des réserves financières assez importantes, ce sont les bons marchands de la L17, les semeurs de menus grains de la L8-10, qui peuvent voir venir. L'ensemble de la population se retrouve démunie, comme on l'a dit dans la sous partie précédente. P. Coubert fait cette démonstration : Une famille de 5 personnes dont 4 travaillent. La famille gagne 108 sols par semaine. Elle consomme au moins 70 livres de pains. Quand le pain est à 5 deniers, la vie est assurée. [...]
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