Egypte, Méditerranée, colonialisme, 1798, 1914, Nahda, Tanzimat, Mehemet-Ali, empire, ottoman, Bonaparte, Napoléon, monde méditerranéen, canal, Suez, impérialisme
L'Egypte occupe une place particulièrement importante dans l'histoire de la Méditerranée de 1798 à 1914 : il semble en effet qu'elle cristallise les nombreux paradoxes et ambiguïtés des impérialismes européens tout au long du XIXè siècle. C'est que le pays possède une grande importance stratégique : territoire-charnière entre les rives Nord et Sud de la Méditerranée, il devient aussi un point de passage obligé vers l'Asie avec la construction du canal de Suez. Mais l'Egypte se caractérise surtout par son ambivalence : premier territoire arabe à être éclairé par les « lumières » de l'Europe avec l'expédition d'Egypte en 1798, il entretient une fascination - d'ailleurs réciproque - pour la culture française ; toutefois, l'occidentalisation aura ses limites puisque l'identité égyptienne demeurera fermement arabe, comme nous le montrera la Nahda dans la seconde moitié du XIXè siècle. Il semble au fond que le pays oscillera sans cesse entre les volontés d'émancipation et les mises sous tutelle : ces premières se réalisent en effet via un effort modernisateur qui nécessite un endettement croissant auprès des banques européennes. Bref, l'Egypte est terre de contrastes et de métissages entre la culture occidentale et la tradition musulmane ; à cet égard, ne pourrions-nous pas penser qu'en cristallisant les ambivalences des impérialismes européens, l'Egypte entre 1798 et 1914 se caractérise par la recherche d'une identité qui synthétiserait les différentes influences auxquelles elle est soumise ? Nous observerons tout d'abord que le pays est tourné très tôt vers l'Europe : la période de 1798 à 1830 marque le début de son occidentalisation. Il faudra toutefois souligner que la seconde moitié du XIXè siècle montre sa progressive mise sous tutelle par la Grande-Bretagne et la France, symbole de « l'impérialisme économique » de cette période. Enfin, cela nous mènera à considérer les essais de redéfinition égyptiens d'une identité méditerranéenne - syncrétisme d'aspirations modernistes et d'attachement à la tradition.
[...] Nous étudierons enfin le dirigisme moderniste de Mehemet-Ali. A l'aube du XIXè siècle, les contacts entre Orient et Occident sont déjà nombreux : les échanges commerciaux de l'Europe avec l'empire ottoman transitent par les « échelles du Levant », ces grands ports bigarrés qui développent une véritable langue méditerranéenne (lingua franca, dialecte synthétique). Alexandrie et son hinterland (jusqu'au Caire, à vrai dire) fait partie de ces échelles » ; toutefois le monde européen ne s'y fera vraiment sentir qu'à partir de 1798. [...]
[...] Il y a en effet une conception sous-jacente de l'Europe comme un modèle, et du libéralisme industriel comme une recette applicable partout selon les désirs. Mais c'est méconnaître le caractère historique, les longs processus qui ont modelé l'Occident : que ce soit pour l'Egypte ou pour l'empire ottoman, cette manière de procéder conduit à une impasse et la dichotomie entre les rives Nord et Sud demeure irréductible. Mais quoi qu'il en soit, il faut souligner le rôle précurseur de l'Egypte dans cette conception de la modernité, qui admire et méprise à la fois les puissances marchandes occidentales. [...]
[...] De fait, les efforts modernistes de l'Egypte vont conduire à sa mise sous tutelle, économiquement parlant. C'est que Mehemet-Ali a voulu faire passer directement une économie d'Ancien régime sur le marché international des pays dits industrialisés. Or il faut des capitaux pour moderniser de fond en comble cette économie archaïque : et voici l'Egypte prise, dès les années 1860, dans l'engrenage des prêts aux banques françaises et britanniques. Or, tout comme au Maroc et en Tunisie, la domination économique va logiquement conduire au contrôle politique. [...]
[...] Celui-ci ne fera pas réaliser de bénéfices énormes avant la fin du siècle ; toutefois, son poids symbolique comme preuve des volontés européennes de domination sera grand – et le colonel Nasser, en 1956, en sera bien conscient quand il décidera de le nationaliser. Les intérêts économiques ont donc vite pris le pas sur les idéaux humanistes : l'instrumentalisation du territoire égyptien par les nations européennes est ouverte : de là, l'influence économique de ces dernières ne fera qu'augmenter. Mais petit à petit, c'est la présence anglaise qui va supplanter la française : le canal de Suez sera la dernière grande œuvre du IId Empire. [...]
[...] Or ce modernisme sera loin d'atteindre ses objectifs : en jetant l'Egypte dans l'engrenage des dettes vis-à-vis des partenaires occidentaux, il va paradoxalement aboutir à sa mise sous tutelle. Bref, si l'on peut voir la première moitié du siècle comme une tentative d'émancipation progressive de l'Egypte, celle-ci sera de courte durée : c'est un phénomène que l'on retrouvera avec beaucoup d'autres pays (Maroc, Tunisie, etc.). L'Egypte symbolise ainsi bien d'autres aspects des relations entre Orient et Occident en Méditerranée. Nous verrons tout d'abord qu'elle suscite de plus en plus d'appétits stratégiques et commerciaux. [...]
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