En 1700, un événement se produit dans les deux monarchies situées de part et d'autre des Pyrénées, presque continuellement en guerre depuis le XVIe et jusqu'en 1697 : deux membres de la dynastie des Bourbons sont rois simultanément. En France, Louis XIV règne depuis 1643, et en Espagne, le roi Charles II de Habsbourg vient de mourir après avoir désigné Philippe d'Anjou, petit-fils du roi français, comme héritier. En effet, c'est pour lui la seule solution de conserver l'intégrité de la couronne espagnole, grâce à l'appui de Louis XIV. Le roi français est alors le plus puissant souverain d'Europe, son faste impressionne autant que ses armées, alors que Bossuet considère son modèle de gouvernement comme « la fin de l'Histoire ». En 1789, l'Histoire a pris une autre voie en France et la Révolution condamne en 1797 « l'absolutisme » des rois ; l'Espagne assimile la Révolution française à une « maladie contagieuse » et se ferme à toute idée qui pourrait s'y rapporter. Une période de moins d'un siècle s'est donc écoulée, où les deux monarchies se sont retrouvées liées par le jeu des alliances matrimoniales ; moins d'un siècle pour deux royaumes au legs si différent : l'Espagne des Habsbourg, qui a vu s'enfuir son « Siècle d'Or » et la France des Bourbons, alors si impressionnante.
L'établissement d'un Bourbon à Madrid n'a pas été sans conséquences pour le modèle politique qui avait cours sous les Habsbourg, souscrivant à la théorie du contrat entre le souverain et ses sujets, car celui-ci ne s'accordait guère avec l'absolutisme conquérant et prosélyte de Louis XIV. Nous choisissons en effet d'utiliser le terme controversé d'absolutisme pour décrire le modèle politique, c'est-à-dire la représentation théorique d'un système d'éléments et de relations plus ou moins complexes expliquant un mode de gouvernement, qui avait cours en France à l'époque moderne. Même s'il s'agit d'une définition nécessairement réductrice, on pourrait le décrire comme une construction monarchique voulant faire croire au pouvoir absolu du roi et dont les applications pratiques tendraient à un contrôle dans tous les domaines de la société, même s'il comprend des failles à la fois sur les plans théorique et pratique. La monarchie espagnole, qui se souhaite « absolue » selon l'expression de Roland Mousnier , a eu des contacts privilégiés avec la France au long du XVIIIe siècle et son modèle a connu des mutations auxquelles cette interaction n'est pas étrangère.
Ainsi, quelles vont être les caractéristiques et l'évolution du système politique espagnol face au modèle que représente l'absolutisme français ? Nous étudierons successivement les liens entre les pays afin de distinguer leur influence sur la monarchie espagnole, l'absolutisme à la française qui en a découlé dans une première période et enfin la mise en place d'un autre modèle politique : le despotisme éclairé de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ne prétendant pas à une synthèse ni à une étude exhaustive sur un siècle, nous avons plutôt choisi d'insister et développer plusieurs points, qui nous sont apparus comme les points de comparaison les plus pertinents, en particulier pour la troisième partie.
[...] Ainsi l'Espagne imite la France, dont l'armée est le géant du Grand Siècle ; l'idée est alors que l'expansion de l'Etat passe par l'expansion de l'armée. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'invasion de la Sicile en 1717 et la conquête de Naples en 1734 : la nouvelle puissance de l'Espagne se révèle comme s'était révélé celle de Louis XIV, même si pour cela Philippe V doit même lutter contre la France. Ainsi, pour reconstruire la monarchie espagnole, Philippe s'est bien inspiré de l'absolutisme français, mais il l'a fait plutôt de manière fragmentaire et pragmatique, sans appliquer une copie rigide du système français et en gardant l'influence –mais avait-il le choix de l'héritage des Habsbourg et des particularités espagnoles, tout en abandonnant les pratiques néoforalistes. [...]
[...] La réalité est autre : l'absolutisme a besoin de réseaux pour fonctionner. En France, la souveraineté du roi, qui le rend absolu en théorie, ne l'émancipe pas des rapports de fidélité par lesquels il assoit sa domination sur l'ensemble du corps social notamment avec des clientèles nobiliaires, qui ne sont pas aussi soumises que l'on a pu le croire. En effet, l'absolutisme a besoin de soutien et il va chercher dans une classe sociale, la noblesse, même si cela est moins vrai avec la monarchie administrative du XVIIIe siècle. [...]
[...] Cette volonté de vouloir contrôler jusqu'à l'habillement, inscrite dans la volonté absolutiste de contrôler tous les secteurs de la société, est très mal perçue, et cette atteinte à la dignité personnelle s'ajoute à l'angoisse de la pénurie de blé et de la hausse des prix. Le 23 mars 1766, l'émeute proprement dite commence à Madrid ; elle se termine le 25 mars avec le départ de Squillace, mais des troubles causés par la faim ou des raisons locales, sont répertoriées dans l'Espagne entière. [...]
[...] En France, les Etats provinciaux des pays d'Etat se retrouvent être une manne de liquidités pour la couronne, même plus facilement que dans les pays d'élection ; en Espagne, le roi n'obtient rien de ses provinces foralistes. La monarchie absolutiste propose un discours de centralisation, alors même qu'elle continue à être composée de couronnes, comme celle d'Aragon, qui pourtant est désormais régie par les décrets de Nueva Planta, y compris pour les impôts. Les structures de la société léguée par les Habsbourg, qui eux- mêmes s'étaient opposés aux fueros notamment pour les impôts, ne sont pas résolues par l'absolutisme bourbonien. [...]
[...] José del Campillo le remplaça à la tête de trois secrétariats. Ce ne sont pas des situations de valimiento, qui a été aboli par Philippe V dès son arrivée, mais qui questionne les liens entre le souverain absolutiste et des ministres de plus en plus puissants, qui vont jusqu'à faire office de premier ministre dans les faits. La situation se rencontre en France sous Louis XV avec l'abbé Dubois et le cardinal de Fleury, qui ont été tous deux Principal Ministre, ou même sous Louis XIV, car l'on ne sait pas encore si, réellement, Colbert a exercé moins de pouvoir que Richelieu ou Mazarin La question est d'importance : elle pose le problème d'un système qui se baserait sur un gouvernement personnel, mais où les conseils, même au pouvoir réduit comme celui de Castille, et les secrétaires ont un pouvoir de préparation des textes et des dossiers, où l'administration propose et où le roi fait le choix d'accepter ou non ; l'absolutisme ne serait alors que dans ce choix final ? [...]
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