Les vendettas méditerranéennes ont souvent nourri l'imaginaire grâce à leur théâtralité, leurs gestes abrupts, leurs paroles saccadées ou plaintives. L'Iliade — une histoire de guerre se greffant sur une action personnelle engagée pour « laver son honneur » — ou l'Orestie — la saga des Atrides nourrie, à chaque génération, par une « juste » colère à l'égard des coupables excluant même la pitié filiale — semblent, encore de nos jours, servir de référents à la lecture ou à l'écoute des faits divers les plus sanglants. Cet héritage culturel, alimenté en outre par les comptes rendus des voyageurs du XVIIIe et du XIXe siècles, qui ont souvent colporté, sans aucun sens critique, des histoires douteuses faisant désormais partie de notre patrimoine, suscite, chez le lecteur ou le spectateur modernes, une crainte mêlée à de l'admiration et une image fausse du passé et du présent de cette aire géographique.
[...] Il semble, en suivant cette logique, que l'on puisse dire que la vendetta garantissait la tutelle de la pérennité du sang tout comme le lévirat garantissait celle du nom. Dans les deux cas, nous nous trouvons face au même schéma : dans le premier, un mari décédé est remplacé par son frère auprès de sa veuve pour donner la vie au nom du frère, à la place du frère ; dans le second cas, le frère du mort, ou un proche,- tue son assassin pour donner la mort et faire en sorte que son sang soit récupéré Dans le premier cas, on empêche que l'oubli s'effectue, que le nom du défunt cesse d'être perpétué parmi les vivants, tandis que, dans le second, on œuvre pour que le mort ne se promène plus parmi les vivants. [...]
[...] La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi. Maintenant, tu seras maudit de la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère (Genèse, IV, 10-11). Pourquoi le sang criet-il ? L'Éternel l'explique à Moïse : c'est que l'âme de la chair est dans le sang Mais, si l'âme de la chair se trouve dans le sang, la substance de l'âme d'un homme réside dans son nom (L. [...]
[...] GOODY, The Development of the Family and Marriage in Europe, Cambridge Univ. Press / Y. KEMAL, Tu écraseras le serpent, Gallimard, Paris / E. LEACH, L'Unité de l'homme et autres essais, Gallimard / L. MARS, What was Onan's crime ? in Comparative Studies in Society and History, no pp. 429- / P. MÉRIMÉE, Colomba et dix autres nouvelles, Préface de P. Josserand, Folio Gallimard, Paris / J. G. [...]
[...] PITRE, Usi e costumi credenze e pregiudizi del popolo siciliano, Palerme, 1870-1913, vol. II, réimpression, Forni, Bologne / J. PITT-RIVERS, Anthropologie de l'honneur. La mésaventure de Sichem, Le Sycomore, Paris / H. PLATELLE, La Voix du sang : le cadavre qui saigne en présence de son meurtrier in La Piété populaire au Moyen Age, Actes du 99e Congrès national des Sociétés savantes, Besançon Section de philologie et d'histoire, t. pp. 161-179, Bibliothèque nationale, Paris / G. STEINER, Les Antigones, Gallimard, 1986. [...]
[...] ce sont les plus vieilles coutumes qui dictent le devoir des femmes dans les affaires de sang. Chargées de pleurer les morts de la famille, elles achèvent les lamentations en menaces et passent des sanglots aux cris de guerre, quand le mort a été frappé par la main d'un ennemi. Le thrène hellénique, c'est le vocero corse. On comprend quel effet terrible pouvaient produire ces femmes qui, durant neuf jours quelquefois, s'avançaient à tour de rôle près du cadavre et, tenant sa tête entre leurs mains, ruisselantes de larmes, échevelées, improvisaient des chants de douleur qui renouvelaient les gémissements de leurs compagnes. [...]
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