Professeur émérite de l'Université d'Oxford, John Huxtable Elliott est un spécialiste de l'histoire de l'Empire d'Espagne au XVI et XVIIe siècle. Grâce à ses travaux sur le comte-duc Olivares, il a étudié en profondeur les fonctionnements et l'histoire de la cour des Habsbourg d'Espagne au début de l'époque moderne. Dans cet article, publié en 1987 puis compilé dans ce recueil, Elliott s'attache à étudier précisément la Cour d'Espagne en tant qu'institution et propose un survol de son histoire sur deux siècles. L'ambition de cet article est de rompre avec une conception mécaniste et catégorique de l'histoire des cours en démontrant, à travers la Cour d'Espagne, que la Cour est une institution évolutive dans le temps et relative dans sa comparaison avec les autres cours d'Europe. Elliott propose donc de voir comment en l'espace de deux siècles les cérémonies de cour et l'étiquette, en apparence uniformes et monolithiques, peuvent être d'un usage très différent selon les règnes et en fonction de la personnalité du monarque. La Cour des Habsbourg d'Espagne est réputée en Europe au début de l'époque moderne pour la multiplicité et la rigueur des ses manières et de son cérémonial; une réputation qui occulta les caractéristiques et l'organisation complexe de cette Cour. Par la suite, le courant historiographique porté par Norbert Elias fit de Versailles et de la cour de Louis XIV l'archétype de la société de cour en Europe en occultant, une fois de plus, le fonctionnement d'une Cour d'Espagne peu documentée. L'intérêt de cet article est de revenir sur l'histoire de cette institution en mettant à jour ses particularités. Mais ces caractéristiques ne doivent pas seulement être entrevues sur le mode de la comparaison de pays à pays, mais bien d'un règne à un autre. L'idée étant de démontrer la capacité d'adaptation de l'institution princière aux forces politiques, sociales et économiques tout en préservant les vieilles formes protocolaires du cérémonial.
[...] Grâce aux traditions bourguignonnes dans lesquels il évolua dès l'enfance, Charles V était tout à fait conscient de la façon dont les symboles peuvent être déployés et manipulés en vue d'un effet politique. En réglementant le port du chapeau en présence du roi, l'empereur imposa une distance entre lui et ses sujets, introduisit une hiérarchie de cour et créa un privilège convoité qui assura la dépendance de la haute noblesse au monarque. Ainsi, l'œuvre principale de Charles V à la cour d'Espagne est d'avoir réussie à introduire le cérémonial bourguignon au cérémonial castillan et de l'avoir imposé à son fils Philip en 1548. [...]
[...] Par la suite, le courant historiographique porté par Norbert Elias fit de Versailles et de la cour de Louis XIV l'archétype de la société de cour en Europe en occultant, une fois de plus, le fonctionnement d'une cour d'Espagne peu documentée. L'intérêt de cet article est de revenir sur l'histoire de cette institution en mettant à jour ses particularités. Mais ces caractéristiques ne doivent pas seulement être entrevues sur le mode de la comparaison de pays à pays, mais bien d'un règne à un autre. L'idée étant de démontrer la capacité d'adaptation de l'institution princière aux forces politiques, sociales et économiques tout en préservant les vieilles formes protocolaires du cérémonial. [...]
[...] Pour autant, la cour espagnole du XVI° et XVII° siècles a ses propres manières et ses propres voies de développement pour ces trois fonctions principales. La première de ces caractéristiques à éveiller l'attention est le caractère hautement religieux de la royauté d'Espagne dans ses manifestations publiques. Cette extrême piété du monarque a forgé l'image du roi catholique dont la relation avec Dieu est très observée. Cette conception s'explique par des raisons intérieures : la société est constamment menacée par le protestantisme, le judaïsme et l'Islam. [...]
[...] Pour cela il révisa les détails de l'étiquette et de l'organisation domestique de la cour avec l'ambition de restaurer les standards de la politesse de cour et d'en faire une école de vertu. Dès lors, il tenta de mettre en place un système d'éducation et de domestication de la noblesse pour le service de cour en tant de paix comme de guerre. Ce projet ne vit jamais vraiment le jour, mais Olivares est aussi à l'origine d'une politique culturelle qui renforça le prestige du roi. [...]
[...] L'un des principaux aménagements réalisable par les monarques de la cour d'Espagne résidait alors dans le choix entre deux styles de vie : l'un caractérisé par l'isolation et la faible visibilité du roi, l'autre, marqué par l'usage politique de l'image royale et un cérémonial de cour centré sur la personne du monarque afin de mettre en scène la gloire de sa dynastie. L'originalité de la cour Habsbourg d'Espagne, par rapport aux autres cours européennes à la même époque, réside dans ce degré de tension entre un cérémonial destiné à protéger le roi et un cérémonial élaboré pour mettre en scène le roi. Dès lors, l'orientation du protocole de la cour vers un de ces deux extrêmes conduisait au même résultat : le roi se réduisait lui-même à une cérémonie. [...]
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