L'aristocratie, ou le gouvernement des meilleurs en grec ne doit pas se confondre avec la noblesse. Alors que la noblesse découle de la naissance, l'aristocratie est en principe fondée sur le mérite. Le terme désigne finalement une classe sociale, considérée comme l'élite d'une nation, qui détient un fort pouvoir politique mais aussi un évident prestige social et culturel. Dans l'Angleterre du XVIe siècle, cette frange sociale supérieure possède des contours parfois flous ou irréguliers. L'importance croissante de la gentry, c'est-à-dire d'une « bonne société » composée partiellement de nobles non titrés, comme les cadets de familles, et de très riches notables et propriétaires terriens, qui semble aller de pair avec un certain déclin de la haute noblesse, très affaiblie par les pertes de la Guerre des Deux Roses, force à élargir les rangs de l'aristocratie, en particulier lorsqu'Élisabeth et les Tudors en général favorisent l'ascension de certaines de ses familles, les Cecil, les Dudley, les Bacon, leur offrant des rôles primordiaux de la gestion et du gouvernement de l'État.
Il faut alors se poser les questions de la mesure de la mobilité sociale à l'époque élisabéthaine et des contours de l'aristocratie. Mais ce façonnement de l'aristocratie est contemporain d'un mouvement sociétaire plus large et qui sans nul doute l'inclut et le motive : le règne d'Élisabeth reste dans l'histoire comme une période charnière puisqu'il marquerait le passage de l'Angleterre d'un État féodal à un État moderne, c'est-à-dire un État où le lien entre le souverain et ses sujets est contractuel en principe, abstrait, lointain, et où le commandement passe par une maîtrise territoriale de l'espace, par un gouvernement local notamment.
[...] Le portrait à l'Armada, où Elizabeth est représentée comme souveraine victorieuse, aidée des dieux, auréolée de gloire et, désignant l'Amérique sur un globe, elle apparait aussi comme celle qui mènera son pays vers la maîtrise des mers et du Nouveau Monde, est un exemple de glorification de la nation à travers celle de son monarque. Elizabeth, peut-être aussi parce qu'elle est une femme, est portée au rand d'allégorie de la nation anglaise, de la même manière qu'elle était déjà comparée à Deborah lors de son couronnement en 1559. En outre, l'éveil du sentiment national passe aussi par la diffusion de la langue anglaise comme langue poétique et littéraire. Et les nombreuses publications, qui sont avant tout destinées à l'élite du pays, ne sont pas uniquement artistiques. Les essais politiques, théologiques ou historiques abondent. [...]
[...] La bourgeoisie, elle aussi, a tendance à s'élever socialement. Bien qu'on ne parle pas d'une noblesse de robe au sujet de l'Angleterre de l'époque, on constate néanmoins la valeur de moteur sociale des études de droit ; les Houses of Law, ouverte aux fils de la bourgeoisie ne sont alors pas indifférentes à l'ascension sociale de leur classe. Cependant, la mobilité sociale a un double mouvement. Les classes les plus inférieures de la population sont elles soumises à un appauvrissement et un effondrement de leur qualité de vie. [...]
[...] D'autre part, la culture de Cour est pour l'aristocratie le moyen de participer à la propagande élisabéthaine. Les courtisans, parmi lesquels de nombreux aristocrates, font faire des miniatures, et rêvent de se voir remettre un portrait de la Reine par elle-même qu'elle distribue comme une Légion d'honneur avant l'heure Ils participent alors à la diffusion de l'image magnifiée, chargée de sens et de symboles d'Élisabeth, d'autant plus qu'en tant qu'élites ils représentent un modèle pour les couches inférieures de la population, qui tentant de les imiter entrent à leur tour dans la logique de glorification de la Reine. [...]
[...] Enfin, la reine reste prudente : pour domestiquer les aristocrates, elle leur offre sa présence concrète (féodalité) et honorifique lors de ses progresses, les parcours d'été qu'Élisabeth se plaît à faire tout le long de son règne, dans le sud de l'Angleterre surtout, faisant étape chez ses Grands, qui copient même la Cour. Les aristocrates en effet, à travers le Parlement, votent les subsides de la reine (jamais refusés). Les résurgences de la féodalité La noblesse n'est pas prête à abandonner tous ses privilèges sans compensation. Les révoltes féodales ont pour but de signifier à la reine que la noblesse féodale veut sa part de gains dans la transition vers l'État moderne. Si la noblesse se fond au sein de l'aristocratie, il n'est pas question qu'elle y soit marginale. [...]
[...] L'État moderne sera en effet le lieu d'épanouissement d'une classe sociale puissante au plan politique, réelle élite de la nation sans qu'elle soit nécessairement issue de la noblesse seigneuriale. En quel sens l'État moderne fonde-t-il l'aristocratie anglaise au sens propre ? D'abord, l'aristocratie est une élite de gouvernement encore liée à la reine en tant que personne, d'où des résurgences de la féodalité manifestant les insuffisances de l'État moderne. C'est en effet la reine, le pouvoir royal, qui dessine les contours et définit les critères de l'aristocratie par le biais des monopoles, de la culture de Cour ou encore du sentiment national (moderne) qu'elle diffuse. [...]
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