"Il advint en ce temps qu'en l'abbaye de Saint-Nicolas au bois qui est près de la cité de Laon, demeuraient trois nobles jeunes gens [enfants] natifs de Flandre, venus pour apprendre le langage de France. Ces jeunes gens allèrent jouer un jour dans le bois de l'abbaye avec des arcs et des flèches ferrées pour tirer et tuer les lapins. En suivant leur proie qu'ils avaient levée dans le bois de l'abbaye, ils entrèrent dans un bois appartenant a Enguerran le seigneur de Coucy. Ils furent pris et retenus par les sergents qui gardaient le bois. Quand Enguerran apprit ce qu'avaient fait ces jeunes gens par ses forestiers, cet homme cruel et sans pitié fit aussitôt pendre les jeunes gens. Mais quand l'abbé de Saint-Nicolas qui les avait en garde l'appris, ainsi que messire Gilles le Brun, connétable de France au lignage de qui appartenaient les jeunes gens, ils vinrent trouver le roi Louis et lui demandèrent qu'il leur fît droit du sire de Coucy. Le bon roi droiturier, dès qu'il apprit la cruauté du sire de Coucy, le fit appeler et convoquer à sa cour pour répondre de ce vilain cas. Quand le sire de Coucy entendit le commandement du roi, il vint à la cour et dit qu'il ne devait pas être contraint à répondre sans conseil ; mais il voulait être jugé par les pairs de France selon la coutume de baronnie. Mais il fut prouvé contre le seigneur de Coucy par le registre de la cour de France que le sire de Coucy ne tenait pas sa terre en baronnie car la terre de Bove et la terre de Gournay qui entraînaient la seigneurie et la dignité de baronnie furent séparées de la terre de Coucy par partage entre frères ; c'est pourquoi il fut dit au seigneur de Coucy qu'il ne tenait pas sa terre en baronnie. Ces faits ayant été établis devant le roi Louis, il fit prendre et saisir le sire de Coucy, non pas par ses barons ni par ses chevaliers, mais par ses sergents d'armes et le fit mettre en prison dans la tour du Louvre et fixa le jour où il devait répondre en présence des barons. Au jour dit les barons de France vinrent au palais du roi et quand ils furent assemblés le roi fit venir le sire de Coucy et le contraignit à répondre sur le cas susdit. Le sire de Coucy, par la volonté du roi, appela alors tous les barons qui étaient de son lignage à son conseil, et ils vinrent presque tous et ils se retirèrent à part, si bien que le roi demeura presque tout seul, sauf quelques prud'hommes de son conseil. Mais l'intention du roi était de rester inflexible et de prononcer un juste jugement [justum judicium judicare], c'est-à-dire de punir ledit sire selon la loi du talion et de le condamner à une mort semblable [à celle des jeunes gens]. Quand les barons s'aperçurent de la volonté du roi, ils le prièrent et requirent très doucement d'avoir pitié du sire de Coucy et de lui infliger une amende à sa décision. Le roi, qui brûlait de faire justice [qui moult fut échaffé de justice faire], répondit devant tous les barons que s'il croyait que Notre Seigneur lui sût aussi bon gré de le pendre que de le relâcher, il le pendrait, sans se soucier des barons de son lignage. Finalement, le roi se laissa fléchir par les humbles prières des barons et décida que le sire de Coucy rachèterait sa vie avec une amende de dix mille livres et ferait bâtir deux chapelles où l'on ferait tous les jours des prières chantées pour l'âme des trois jeunes gens. Il donnerait à l'abbaye le bois où les jeunes gens avaient été pendus et promettrait de passer trois ans en Terre sainte. Le bon roi droiturier prit l'argent de l'amende, mais ne le mit pas dans son trésor, il le convertit en bonnes œuvres [...]. Laquelle chose fut et doit être un grand exemple pour tous ceux qui font respecter la justice, car un homme très noble et de si haut lignage, qui n'était accusé que par de pauvres gens, parvint difficilement à racheter sa vie devant celui qui tenait et gardait justice."
[...] Un jury apparenté à l'accusé Le sire de Coucy, par la volonté du roi, appela alors tous les barons de son lignage à son conseil, ils vinrent presque tous et ils se retirèrent à part, si bien que le roi demeura presque tout seul. En soi, qu'un accusé quittant la salle pour délibérer avec ses conseillers était une pratique déjà utilisée, comme ce fût le cas pour le procès de l'archevêque de Reims quelques mois auparavant. Aussi quand, Enguerran se retira de la salle du procès pour consulter ceux de son lignage, c'est-à-dire sa parenté, il fut suivi selon Guillaume de Nangis de tous les seigneurs présents. Ainsi, tous les juges présents au procès étaient des parents d'Enguerran. [...]
[...] Le roi était prêt condamner le sire de Coucy par pendaison. Cependant, les barons le prièrent et requirent très doucement d'avoir pitié du sire de Coucy. Le roi, qui brûlait de faire justice, répondit devant tous les barons que s'il croyait que Notre Seigneur lui sût aussi bon gré de le pendre plutôt que de le relâcher ( ) Finalement, le roi se laissa fléchir par les humbles prières des barons et décida que le sire de Coucy rachèterait sa vie avec une amende Donc, les choses tournèrent pour Enguerran mieux qu'il n'aurait pu s'y attendre. [...]
[...] L'autre est une chronique des rois de France. Guillaume de Nangis a aussi écrit les Gesta Sancta Ludovici, la Vie de St Louis dont nous étudierons aujourd'hui un extrait intitulé L'affaire du sire Coucy La Gesta Sancta Ludovici est une biographie de St Louis, rédigée en latin et écrite entre 1285 et achevée avant la canonisation de Louis IX en 1297. Selon Jacques Le Goff, cet ouvrage est la principale source dionysienne pour la connaissance du personnage de St Louis. [...]
[...] Quand le sire de Coucy entendit le commandement du roi, il vint à la cour et dit qu'il ne devait pas être contraint à répondre sans conseil, mais il voulait être jugé par les pairs de France selon la coutume de Enguerran, ayant été convoqué par le roi, allégua, comme moyen de défense, son droit à être jugé par ses pairs, c'est-à-dire par une assemblée d'hommes de la même condition que lui. En effet, au Moyen Age, le droit de se faire juger par ses pairs était un privilège réservé à l'élite sociale tel que les nobles, les chevaliers, ou encore les barons. Ces derniers étaient très attachés à ce qu'ils considéraient comme ayant toujours existé. Ils s'appuyaient sur leur coutume. [...]
[...] L'idéal de justice ou de l'intransigeance à la clémence du roi Dans l'affaire du sire de Coucy, on remarque donc le roi est intransigeant. En effet, nous pouvons voir cette réaction aux lignes suivantes : l'intention du roi était de rester inflexible et de prononcer un juste jugement, c'est-à-dire de punir ledit sire selon la loi du talion et de le condamner à une mort semblable. Le roi brûlait de faire justice. Il semble donc que le roi était décidé dans cette affaire à montrer la supériorité de la justice royale sur les justices seigneuriales et surtout de montrer que la justice est la même pour tous et que les puissants seigneurs n'y échappent pas. [...]
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