En 1756, dans son Essai sur les moeurs, Voltaire se demandait « dans quel état florissant serait l'Europe sans les guerres continuelles qui la troublent ». Pour celui qui, trois ans plus tard, fit de la guerre un objet de satire en promenant Candide sur les théâtres d'opérations militaires , la guerre était devenue un puissant facteur identitaire des états européens. Comment, en effet, ne pas penser la guerre comme le nerf des puissances lorsque des années 1680 à 1789, pour une année de paix, l'Europe connut quatre années de guerre ?
Entre 1680 et 1780, les guerres engendrèrent différents types de circulations internationales. Au sortir de la guerre de Hollande (1672-1678), la « politique des réunions » engagée par Louis XIV travaillait à préserver les acquis des traités de Westphalie (1648), d'Aix-la-Chapelle (1668) et de Nimègue (1678). Elle ouvrit ainsi une période marquée par de multiples coalitions. Qu'elle soit de conquête ou de siège, la guerre en Europe manifestait toujours les intérêts d'Etats soucieux de s'affirmer sur l'échiquier européen. Ainsi, parce qu'elle mit en jeu l'ensemble des puissances européennes, la guerre peut difficilement se concevoir sans la dimension internationale. Car cette vaste échelle illustre peut-être le mieux l'ampleur des enjeux multiples qui se tramaient alors.
[...] B) Le roi, le diplomate et le consul : figures militaires et acteurs des circulations
En effet, ces dernières permirent à beaucoup de sujets de voyager avec une mission précise. A une liste exhaustive, nous préférons trois exemples significatifs. En premier lieu, il convient de souligner que, la plupart du temps, les rois ne furent acteurs que depuis leur palais. Après la guerre de Hollande, Louis XIV délègue par exemple au duc de Bourgogne le soin de conduire l'armée ; Louis XV n'apparaît que lors de la bataille de Fontenoy. Les monarques ne voyagèrent par la suite que de manière pacifique. Mais la figure du roi mobile ne témoigne pas toujours d'une ambition volontaire. L'exemple de Jacques II Stuart, roi exilé d'Angleterre suite à la Glorious révolution de 1688 et accueilli par Louis XIV à St-Germain illustre la mobilité d'un monarque déchu. Selon Monique Cottret, l'accueil de ce roi vaincu par Guillaume d'Orange a permis à près de 30 000 jacobites de gagner la France entre 1688 et 1692, contribuant ainsi à diffuser le modèle anglais qui, paradoxalement, s'épanouit sous les Hanovre (...)
[...] De reste, d'autres circulations tendirent à uniformiser les caractéristiques de la guerre au XVIIIème siècle. Selon Daniel Roche, la culture matérielle en est un trait important puisque l'adaptation des chaussures, de l'habillement, moins serrés et moins brillants, ainsi que l'allègement de l'équipement sont des facteurs majeurs de la culture matérielle à l'échelle de toute l'Europe. La marche n'est plus chaotique mais réglée au pas, sous le drapeau du régiment, la discipline du corps devient aussi un élément d'uniformisation militaire. Néanmoins, la guerre permit de nouvelles circulations culturelles non pas seulement pour le transfert de connaissances et de stratégies mais dans l'optique de construire un modèle éducatif propre aux jeunes élites européennes. [...]
[...] Or, le souci de la désertion répond très précisément à la préoccupation de contrôler les mobilités au-delà et entre les frontières. Le perfectionnement des procédures d'identification l'atteste. Tout soldat qui, pour une raison ou une autre, se retrouve sur les chemins hors de son régiment doit être reconnu, contrôlé. Le système du congé est un exemple de l'emprise des pouvoirs sur les mobilités en temps de guerre. C'est au XVIIIème siècle un petit bout de papier pré-imprimé mentionnant le nom, l'âge, l'origine, le régiment et la destination du soldat. [...]
[...] Elle s'explique généralement par des raisons financières lorsque les soldats s'engagent dans d'autres régiments que des recruteurs présentent avec une solde plus élevée. Les raisons peuvent aussi être individuelles comme par exemple une réelle volonté de retour à la vie civile, des dettes de jeux ou encore une liaison amoureuse. Dans tous les cas, l'espoir de trouver mieux ailleurs anime bon nombre de soldats sur le point de déserter leur régiment. Cet espoir impulse donc une importante mobilité que les Etats se sont attachés à contrôler pour des raisons évidentes. [...]
[...] Des campagnes mobiles aux systèmes de recrutement, la guerre apparaît en effet comme le nerf de circulations d'individus missionnés. Le plus souvent, les opérations militaires à proprement parler conduisent les soldats hors de leurs frontières. Pour le concevoir, il n'y a qu'à imaginer un instant les théâtres d'opération. Par exemple : - lorsque les sujets français mirent à sac le Palatinat en 1689, ils durent passer la frontière pour aller détruire Mannheim et les palais d'Heidelberg. - lors de la guerre de Succession d'Espagne (1701-1713), les troupes anglaises menées par le duc de Marlborough durent traverser la Manche pour prendre la ville de Tournai. [...]
[...] Le service anime ainsi des migrations à la fois intérieures mais aussi et surtout transfrontalières. Toutefois, depuis le traité de Westphalie (1648), les terrains d'opération ont eu tendance à se restreindre, les conflits se localisent sur la frontière du Rhin –comme lors de la guerre de la ligue d'Augsbourg (1688- 1697) dans l'Empire, aussi –comme lors de la guerre de Succession de Sept ans (1756-1763). Dans ce dernier cas, la mobilité s'est alors transformée en une occupation de longue durée. [...]
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