On ne saurait ici évoquer dans le détail les liens qui unissent les auteurs majeurs de la fin du Grand Siècle et du Siècle des Lumières à travers toute l'Europe. D'autant que les salons, les académies ou les loges maçonniques, lieux où se déroule une grande partie de la vie littéraire, de même que les correspondances qu'ils ont échangées dans toute l'Europe, ont été traitées par ailleurs.
Le cours suivant comporte trois parties, qui visent :
- à présenter les circulations des écrivains dans le cadre cosmopolite d'une république des lettres qui a largement adopté le français comme véhicule de communication littéraire (première partie) ;
- à exposer comment se structure l'édition et la diffusion internationales des livres (deuxième partie).
- à étudier en quoi les régimes de censure en place dans la plupart de pays génèrent et freinent tout à la fois des courants originaux de circulation des textes (troisième parie).
I. ? LE COSMOPOLITISME LITTÉRAIRE AU TEMPS DE « L'EUROPE FRANÇAISE »
A) « De l'universalité de la langue française »
En donnant ce titre à un discours primé par l'académie de Berlin en 1784, Rivarol publie moins un manifeste - on est loin de la Défense et illustration de la langue française de Du Bellay parue deux siècles plus tôt - qu'il n'énonce un constat : le français a remplacé le latin comme véhicule de la pensée et des belles lettres.
Au XVIIIe siècle, le français est en effet largement usité, dans les conversations, dans les correspondances qu'entretiennent princes, courtisans, écrivains, savants et beaux esprits des capitales européennes et même dans la diplomatie.
- En 1714, le traité de Rastatt entre Louis XIV et l'empereur Charles II est rédigé en français.
- En 1743, Frédéric II ordonne de publier les travaux de l'académie des sciences de Berlin en français : « La science doit parler la langue universelle, et cette langue c'est le français ».
Cette universalité du français touche surtout la vie littéraire. Quels aspects prend l'acculturation du monde des lettres ?
D'abord, de grands écrivains de tous les pays adoptent le français pour écrire leurs oeuvres. L'anglais Hamilton publie en français son Histoire du comte de Grammont, la Hollandaise Mme van Thyll, alias Mme de Charrière, fait de même dans ses Lettres neufchâteloises. Idem pour les traités philosophiques du baron d'Holbach - collaborateur de l'Encyclopédie - et ceux de Frédéric II (...)
[...] La rareté en faisait des produits recherchés et chers. Ce sont donc en général des propriétaires disposant de revenus élevées. Le plus célèbre n'est autre qu'Eugène de Savoie, chef des armées impériale et dont la bibliothèque riche d'une dizaine de ces manuscrits est achetée par l'empereur en 1738. Des études menées à Paris montrent que les amateurs sont des nobles tel le duc de la Vallière, des ministres comme le chancelier d'Aguesseau, des magistrats au Parlement comme Gabriel de Rieux qui en possède une quinzaine en 1747 et même quelques ecclésiastiques, à l'instar de l'abbé Sepher, dont la collection vendue en 1786, en comporte elle-aussi une quinzaine Parmi cette abondante production, un auteur se détache, tant par son originalité que par l'écho qu'ont rencontrés, bien après sa mort, les manuscrits qu'il a légués à la postérité : le curé Jean Meslier. [...]
[...] À cette époque, deux autres villes, parce qu'elles apparaissent plus ouvertes et tolérantes, font concurrence à Paris Amsterdam (à laquelle il faut adjoindre les cités voisines de la Hollande) fait figure d'asile, dès le début du XVIIe siècle, pour des écrivains qualifiés de novateurs et considérés comme subversifs ailleurs en Europe. Descartes 1650) et Spinoza 1677) y ont vécu et travaillé. Après 1680, la Hollande accueille des écrivains qui se sentent menacés dans leur pays. John Locke s'y est réfugié de 1684 à 1689 en raison de son opposition politique à Jacques II d'Angleterre. Pierre Bayle, fuyant les persécutions des calvinistes français, s'y établit en 1680 et y finit ses jours en 1707. [...]
[...] En tant que personne, toutefois, l'écrivain n'a pas été inquiété. Il n'en sera pas de même à la parution de la Lettre sur les aveugles, mise sous presse chez le même Durand mais faussement publié à Londres. Ce texte, ouvertement athée, est à nouveau dénoncé par le curé. L'affaire monte jusqu'à d'Argenson, ministre de la guerre et intendant de Paris, qui donne l'ordre d'incarcérer Diderot au château de Vincennes. Le philosophe est emprisonné pendant trois mois-et-demi, son logement est perquisitionné, ses papiers sont saisis Durand, interrogé, reconnaît avoir publié les trois livres. [...]
[...] Il achète alors un lot de livres et élargit ses horizons. Il commence à se constituer une clientèle chez les libraires, obtient des crédits, entre en correspondance avec les grandes maisons d'édition de France et de l'étranger (Suisse, Pays-Bas). À ce stade, il possède une charrette et conserve, dans un local, un stock de titres, parmi lesquels des livres philosophiques destinés au second rayon de quelques libraires de confiance. Devenu étaleur, il circule de foire en foire : Francfort, la plus importante foire annuelle du livre du continent ; Beaucaire, ou se trafiquent, parmi d'autres marchandises, les livres imprimés à Avignon, Genève ou Neufchâtel et destinés au Languedoc, à la Provence et aux exportations marseillaises, etc . [...]
[...] Londres, Amsterdam, Cologne, Genève et des places étrangères sont souvent mises à contribution, mais on a aussi recours à des adresses fantaisistes, tel le royaume africain (qui existe réellement) du Monomotapa ou des cités imaginaires à connotation philosophique (Cosmopolis) ou libertine (Foutropolis) - Même si ces subterfuges laissent planer des doutes Voltaire et La Mettrie ont ainsi été soupçonnés d'avoir écrit les Pensées philosophiques auteurs et éditeurs ne sont pas à l'abri de dénonciations malveillantes par les dévots ou par d'autres imprimeurs ravis d'éliminer un concurrent. - L'effet sur la circulation des livres incriminés est réel mais limité. La saisie, le brûlement de rames d'épreuves ou de ballots de brochures sont un manque à gagner pour l'éditeur. Mais une partie du tirage a souvent été mis en circulation avant la condamnation. Les libraires plutôt que de s'en défaire, préfèrent cacher dans leur arrière-boutique les exemplaires en leur possession. L'écho de la censure est une excellente publicité. [...]
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