Appel du Commissariat central militaire musulman, Baskirs, Tatars, Mirsaid Sultan Galiev, 29 décembre 1918, revue moscovite, après-guerre, guerre civile, nationalisme, autonomie nationale, russes, bolcheviks, anti-colonialisme, Orient musulman
Nous sommes face à un texte publié le 29 décembre 1918 dans le n°8 de la revue moscovite Zizn' Nacional'nostej, organe officiel du Commissariat du Peuple aux Nationalités (Narkomnatz). C'est dans le contexte mouvementé de l'immédiat après-guerre et de la guerre civile qui suit la Révolution d'octobre que Sultan Galiev, alors président du Collège Militaire Musulman central nouvellement créé, lance cet «appel aux Baskirs et aux Tatars».
[...] Ainsi la crainte de relations de type colonialiste n'existe pas seulement à l'encontre du capitalisme occidental, mais vis-à-vis des puissances européennes en général, dont la Russie fait partie. Dans la continuité des deux points que nous avons vue précédemment, Sultan Galiev parvient à lier l'idéal socialiste au respect de l'indépendance nationale et religieuse. Bien qu'incitant à rejoindre le camp des forces soviétiques (l.104), il n'incite pas clairement à une adhésion au Parti Communiste Russe. Quel est l'impact réel de cet appel aux Baskirs et aux Tatars, publié à la toute fin de l'année 1918 ? [...]
[...] L'idée d'union des travailleurs musulmans Ce qui frappe à la lecture de ce texte est la revendication ou du moins l'absence de remise en cause de l'attachement à la religion musulmane comme part de l'identité, là où les bolcheviks sont d'ordinaire hostiles aux religions (quand ils ne sont pas viscéralement anticléricaux). L'adoption des idées socialistes et l'engagement dans la Révolution ne se font pas ici aux dépens de l'identité musulmane : l'auteur évoque à plusieurs reprises les pays (l.44) ou les travailleurs ) musulmans, dont la nécessité première est de s'unir. [...]
[...] Mais la volonté est également celle d'un ralliement idéologique, et c'est sur le front de l'autonomie nationale que cette guerre des idées aura lieu. B. Le non-respect de l'autonomie nationale de la part des Russes Blancs Sultan Galiev affirme que les ennemis contre-révolutionnaires prétendraient (par pur intérêt) au respect de l'autonomie nationale, qu'ils feraient miroiter aux peuples musulmans pour les garder sous leur coupe. Ainsi, il parle de promesse d'autonomie l.67, ou affirme encore l.74 dit que Loin de donner l'autonomie, ils établissent leur hégémonie En vérité, il semblerait que la majorité des leaders Blancs n'ait pas même donné l'illusion du respect des différentes velléités d'indépendance. [...]
[...] S'il n'est pas évident d'évaluer l'influence réelle de cet appel dans le déroulement des événements, la tactique d'alliance entre musulmans et communistes est un succès sur le plan militaire. Sur le plan idéologique cependant, la volonté de Galiev d'échapper au contrôle russe à travers les premières manifestations d'un communisme au caractère national marque le premier point d'accrochage avec Staline, désireux former un front révolutionnaire unique entre Orient et Occident. Si la volonté émancipatrice des colonies à l'égard de la tutelle impériale arrange fortement les Russes, la remise en cause du caractère monolithique et centralisé du PC Russe porte les germes d'un conflit majeur pour l'avenir du mouvement communiste dans le Tiers Monde, et particulièrement sur la question de la direction de la Révolution en Orient. [...]
[...] Quel est le sens de cette insistance sur la religion ? Selon Sultan Galiev, la Révolution n'a de chances de réussir en Orient qu'en ménageant l'islam, c'est pourquoi il invite ses camarades du Parti à une attitude prudente, libérale, fondée davantage sur la propagande que sur la lutte, bien que n'étant lui-même probablement pas un fervent croyant. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela : - le dynamisme, la force, voire le caractère progressiste de l'Islam, plus jeune religion au monde, - l'attachement des masses à leur chef spirituel/leur foi, créant une solidarité forte, - le fait enfin que la lutte contre le fanatisme religieux est déjà entamé par les religieux eux-mêmes, il suffit donc de poursuivre leur œuvre pour que l'islam défanatisé cesse d'être un obstacle à l'édification du socialisme. [...]
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