Alcuin (735-804), abbé de Saint-Martin de Tours, écrivait sous le règne de Charlemagne que le roi est « vengeur des crimes, correcteur des erreurs et pacificateur ». Autrement dit, il considérait que le roi était tenu de faire régner et de rendre la justice, ainsi que d'établir la paix en son royaume. À cette époque, le roi ne tient pas sa légitimité de la conquête mais, comme les empereurs du Bas-Empire chrétien, de Dieu qui lui a confié une mission d'intérêt général. Comme eux, il a le pouvoir de légiférer sur toute l'étendue de ses territoires et le prestige de Charlemagne, aussi brillant que bref, ne peut que bénéficier au droit et à la justice.
De son vaste projet, il ne reste rien à la deuxième génération de ses successeurs dont les mésententes familiales contribueront à la désagrégation de l'unité impériale, territorialement, en raison des raids normands, arabes et hongrois, mais aussi juridiquement. Pas plus qu'il ne peut établir la paix, le roi ne peut ni rendre la justice, ni la faire régner.
Aussi, dans la seconde moitié du IXème siècle, recherchant le concours armé des grands propriétaires, les différents rois leur délivrent des « diplômes d'immunité », leur déléguant sur leurs terres tous les droits de puissance publique. Officiellement, en vertu de la délégation, l'immuniste doit agir au nom du roi. En pratique, contrairement à l'espérance du monarque qui entendait s'approprier leur fidélité et affirmer sa justice, ces grands se comportent en maître absolu de leurs domaines, dans lesquels les agents royaux ne peuvent exercer de contrôle. Tandis que la dynastie carolingienne s'éteint à la fin du Xème siècle au profit de la dynastie capétienne, la justice passe désormais entre les mains de ceux qui tirent leur force dans la possession de terre, seul facteur de survie devant l'incapacité militaire du roi. Cette fâcheuse conjoncture a pour conséquence la prolifération des réseaux vassaliques, à savoir des engagements réciproques du senior et du vassus, assurant la protection de ce dernier, de sa famille et de ses biens, et en retour lui assure fidélité, aide et conseil. Ce défaut de centralisation du pouvoir justifie qu'il existe autant de justice, que de grands propriétaires, car sur chaque terre, elle est souveraine et ouvre la porte aux guerres privées, aux vendettas.
Dans cette mosaïque judiciaire, le roi va tenter d'affirmer sa souveraineté. Dans les premiers temps, maître de son domaine d'Île-de-France, en tant que simple seigneur, il va adopter une politique prudente d'extension domaniale. Cette entreprise est loin d'être utopique, car ce seigneur a reçu une mission spéciale le jour de son sacre, dont nul feudataire ne peut légitimement se prévaloir : le ministerium regis. La fonction royale ne se conçoit pas en terme de puissance mais de dévouement, plus proche du sacerdoce que du pouvoir. Sacré, le roi n'est pas un simple individu parmi tant d'autres, il est le vicaire de Dieu sur Terre.
Chargé de gouverner le peuple de Dieu, le roi va progressivement inverser l'exercice du pouvoir judiciaire et le reconquérir.
En effet, après s'être manifesté durant les premiers siècles du règne des capétiens comme le suzerain justicier de son royaume (I), le roi s'affirmera dès le XIIIème siècle en être le souverain justicier (II).
[...] Pour y parvenir, la royauté trouve un sérieux appui dans l'Église, qui elle-même doit lutter contre l'étau féodal. Ainsi, se montrant le relais d'un État défaillant, l'Église cherche à circonscrire les guerres inter-seigneuriales, d'abord en 989 en instituant la Paix de Dieu par le concile de Charroux destiné à protéger de la guerre certains biens (des églises, des paysans et des petites gens), ainsi que de protéger les inermes ou personnes désarmées (clercs, pèlerins, veuves et orphelins). Puis, durant les années 1019-1023, la royauté entre en scène en appuyant la réunion de quelques conciles de paix en Bourgogne (Verdun-sur-le-Doubs en 1019-1021 ; Héry, présidée par Robert le Pieux, en 1024 ; Anse en 1025). [...]
[...] Certes, les princes agissent de leur bon plaisir c'est-à-dire de manière autonome, mais ils reconnaissent par le pacte qu'ils ont conclu à une collaboration avec le roi. Si ce dernier reconnaît ne pas devoir s'immiscer dans l'exercice de leur justice si la paix est brisée dans leurs domaines, il s'engage au demeurant à faire justice selon nos possibilités, contre les briseurs de paix engagement qui ouvre la voie vers un contrôle de la curia regis agissant comme juridiction. La nature juridique de ce contrôle royal est définie en 1157 par un concile d'évêques réunis à Reims. [...]
[...] En outre, il peut advenir que le juge royal prévient le juge seigneurial, c'est-à-dire malgré la compétence de ce dernier le devance dans la connaissance d'un litige, soit en cas de négligence de ce dernier (déni de justice), soit parce qu'il a été directement saisi par l'un des plaideurs. Sauf pour certains cas où la prévention était absolue, la prévention est en général relative, car si le juge seigneurial réclame la cause avant qu'elle n'ait été tranchée par le juge royal, celui-ci doit s'en dessaisir. Également, les légistes transposent également au profit du roi le système normand des cas ducaux réservant à la haute justice du prince un nombre déterminé de causes. En d'autres termes, s'établit le principe d'une compétence supérieure réservée à la justice royale. [...]
[...] L'aide trouvée dans le clergé permet donc au roi de recouvrer graduellement ses prérogatives et de manifester sa place dans son royaume. Son concours lui offre alors une assise juridique à sa mission de pacificateur, mais celle-ci ne témoigne de crédibilité et de consistance qu'au travers les manifestations concrètes de la mission royale, tout particulièrement par le soutien militaire qu'il apporte à l'Église et à son royaume Les premières manifestations concrètes Le devoir de protection des églises est un des aspects majeurs du ministère royal, bien qu'elle soit quasi-inexistante durant les deux premiers siècles capétiens (XIème-XIIème siècles), car tombée entre les mains des grands seigneurs. [...]
[...] Comme eux, il a le pouvoir de légiférer sur toute l'étendue de ses territoires et le prestige de Charlemagne, aussi brillant que bref, ne peut que bénéficier au droit et à la justice. De son vaste projet, il ne reste rien à la deuxième génération de ses successeurs dont les mésententes familiales contribueront à la désagrégation de l'unité impériale, territorialement, en raison des raids normands, arabes et hongrois, mais aussi juridiquement. Pas plus qu'il ne peut établir la paix, le roi ne peut ni rendre la justice, ni la faire régner. [...]
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