Qui sont les sorciers à la fin du Moyen Âge ? Qui sont ces individus qui prient Dieu pour mieux invoquer Satan ? Qui sont ces hommes et ces femmes qui n'hésitent pas à inclure dans des opérations de sorcellerie des références et des symboles religieux ? Pourquoi empruntent-ils les rituels et les symboles liturgiques chrétiens ? Comment l'Église et les autorités laïques réagissent-elles face à cette sorcellerie usurpatrice ?
Pour répondre à ces questions, il convient de mener une étude prosopographique afin d'identifier les acteurs de pratiques magiques au Moyen Âge finissant. Ainsi, nous nous appuierons sur l'examen de huit procès de sorcellerie, extraits d'une part du Registre criminel du Châtelet du 6 septembre 1389 au 18 mai 1392, et d'autre part, de l'ouvrage de Laurence Pfister, L'enfer sur terre. Sorcellerie à Dommartin, 1498 .
Toutefois, le but n'est pas de procéder à un relevé exhaustif de tout ce qui compose l'identité sociale d'un accusé, mais de mettre seulement en lumière les informations biographiques qui expliqueraient les motivations sorcelliques. Dans cette perspective, le désir de transfigurer le quotidien via la sorcellerie peut naître de la précarité économique, d'une frustration amoureuse ou du manque de reconnaissance sociale . On verra en effet que la sorcellerie attire en tant que pratique performative destinée à assouvir des attentes matérielles ou concrétiser des espérances sentimentales.
La typologie des emprunts chrétiens et l'esquisse prosopographique de notre population (les accusés de sorcellerie ayant joint à leurs pratiques des références religieuses) offrent la possibilité de se risquer, avec moins d'incertitudes, aux hypothèses relatives au sens que les sorciers donnent à l'inclusion du religieux dans leurs actions.
[...] Quoi qu'il advienne, l'accusée n'exige rien en retour des services qu'elle rend, et ici la sorcellerie est loin d'en faire une injuste Cependant, Jeanne tire de la sorcellerie d'autres avantages. Elle bénéficie d'une telle aura régionale que les gens viennent acheter sa parole, des mots forcément véridiques pour ceux qui ont écho de sa renommée. Ainsi, Macete lui demande d'accuser Gilete de l'ensorcellement de son mari et promet en échange de lui donner le drap d'un chaperon, d'une valeur de huit sous. [...]
[...] C'est pourquoi il est nécessaire de préciser la signification des références que l'on a pu rencontrer dans nos huit procès Représentation et signification des références liturgiques Tel que l'a montré Pierre Miquel, la liturgie ne relève pas de la connaissance directe, mais de la reconnaissance, c'est-à-dire du symbole. Elle ne cherche pas l'efficacité pratique mais l'influence spirituelle[181]. La liturgie chrétienne a largement recours aux symboles pour exprimer des réalités invisibles qui permettent aux participants de communiquer entre eux dans une même foi. [...]
[...] Macete fait appel aux talents d'envoûteuse de Jeanne de Brigue pour que celle-ci rende Hennequin de Ruilly en très-grant langueur de maladie, & que jamais il ne se peust partir de son hostel, sans ce toutesvoyes qu'il souffrist mort ; pendant le temps de cette maladie, Macete et le chapelain du curé de Guérard, dont elle est amoureuse, peuvent mieulx acomplir leur voulenté ensamble & enteriner leurs amours L'attitude de Hennequin n'est sans doute pas étrangère aux évasions amoureuses de sa femme. In fine, le mobile de la sorcellerie n'est pas au départ maléfique, il réside d'abord dans la volonté d'améliorer un quotidien difficilement supportable. La sorcellerie devient pour ces quatre femmes le seul moyen d'obtenir amour, honneur, reconnaissance sociale et parfois argent. L'amour est l'une des motivations constantes de la sorcellerie, comme en témoignent les propos de Marion la Droiturière, à qui Margot promet d'assouvir la très-grant ardeur d'amour que elle avoit pour sondit ami Hainsselin (t. p. [...]
[...] Notons que pour la doubte & crainte de ses amis, il [Hennequin] ne vouloit pas espouser en lieu où ilz feussent cogneuz ; les épousailles, qui ont lieu en 1385, se déroulent donc à Paris, à l'église Saint-Pere aus Beufs en la Cité Ce mariage n'empêche pas Macete de récidiver dans l'adultère avec le chapelain du curé de Guérard[25]. Ces quatre femmes sont stigmatisées par les officiers du roi pour leur condition de prostituées. Jeanne et Macete font pour les compagnons depuis l'âge de douze ans[26] et l'enracinement dans le mal font d'elles des femmes incorrigibles. Plus, elles dérangent par leur manque de pudeur et l'ostentation des désirs amoureux. [...]
[...] Malheureusement, on ne dispose pas de précisions supplémentaires sur la composition des cendres qu'utilise Jeanne. En revanche, et c'est le troisième point commun, l'action de tendre ou de présenter une chose en tendant le bras revient plusieurs fois dans les rites liturgiques ; c'est précisément ce que l'Église appelle la porrection. Jeanne délivre donc un message d'accueil au démon. L'action d'oindre est également répandue dans les pratiques sorcelliques des femmes condamnées au Châtelet. Dans la religion chrétienne, le Saint Chrême est symbole de consécration tandis que l'onction des fidèles apporte le réconfort, symbolisant la guérison physique et spirituelle. [...]
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