"On pourrait dire d'une manière générale qu'un mythe est une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant un nombre infini de situations plus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir d'un coup d'oeil certains types de relations constantes, et de les dégager du fouillis des apparences quotidiennes. Dans un sens plus étroit, les mythes traduisent les règles de conduite d'un groupe social ou religieux. Ils procèdent donc de l'élément sacré autour duquel le groupe s'est constitué. On l'a remarqué souvent: un mythe n'a pas d'auteur. Son origine doit être obscure. Et son sens même l'est en partie. Il se présente comme l'expression tout anonyme de réalités communes. Mais le caractère le plus profond du mythe, c'est le pouvoir qu'il prend sur nous, généralement à notre insu. Ce qui fait qu'une histoire, un événement ou même un personnage deviennent des mythes, c'est précisément cet empire qu'ils exercent sur nous comme malgré nous" écrit Denis de Rougemont dans L'Amour et l'Occident.
Or je me propose d'envisager Tristan non point comme œuvre littéraire, mais comme type de relation de l'homme et de la femme dans un groupe historiquement donné: l'élite sociale, la société courtoise et pénétrée de chevalerie du douzième et du treizième siècle. Ce groupe est à vrai dire dissous depuis longtemps. Pourtant ses lois sont encore les nôtres d'une manière secrète et diffuse. Le mythe exprime ces réalités dans la mesure où notre instinct l'exige, mais il les voile aussi dans la mesure où le grand jour et la raison les menaceraient. La passion de Tristan et d'Iseut est contenue par les règles de la chevalerie. Le succès du roman est d'avoir su ordonner la passion dans un cadre où elle pût s'exprimer en satisfaction symbolique. Or si ce cadre disparaît, cette passion n'en subsiste pas moins. Elle est toujours aussi dangereuse pour la vie en société. D'où la permanence historique non point du mythe sous sa forme première, mais de l'exigence mythique à laquelle répondait le Roman. Élargissant notre définition, nous appellerons mythe, désormais, cette permanence d'un type de relations et de réactions qu'il provoque. Le mythe de Tristan et Iseut, ce ne sera plus seulement le Roman, mais le phénomène qu'il illustre, et dont l'influence n'a pas cessé de s'étendre jusqu'à nos jours.
[...] Ainsi, Tristan, modèle du chevalier, est contraint de violer le sacré féodal, devient traître et félon et se voit exilé de la communauté des preux, non point parce qu'il approuve quelque nouvelle doctrine annonciatrice de subversion sociale, mais parce qu'il est devenu la proie d'un pouvoir beaucoup plus absolu: l'état de passion. J'ai montre dans L'Amour et l'Occident comment cet état préexiste à tout objet déterminé, comment il crée son objet idéal avant de l'identifier à quelque être réel par une erreur essentiellement inévitable, qu'on attribue donc au Destin. C'est l'état de passion qu'on aime d'abord, en soi, plutôt qu'Iseut l'inaccessible. [...]
[...] Énigmes Le Roman repose sur une série de contradictions énigmatiques: les moeurs du temps sanctionnent le droit du plus fort. Pourquoi Tristan n'use-t-il pas de ce droit? Pourquoi l'épée de chasteté entre les corps dans la forêt? Pourquoi Tristan rend-il la reine à Marc? Pourquoi promettent-ils de se revoir au moment où ils acceptent de se quitter? Pourquoi Tristan s'éloigne-t-il pour courir d'autres aventures alors même qu'ils ont un rendez-vous dans la forêt? Pourquoi, une fois disculpé, Tristan ne retourne-t-il pas auprès du roi et de la reine? [...]
[...] Nous savons, par la fin du mythe, que la passion est une ascèse. Elle s'oppose à la vie terrestre d'une manière d'autant plus efficace qu'elle prend la forme du désir, et que ce désir à son tour se déguise en fatalité Les mythes de l'amour INTRODUCTION: L'ÉROTISME ET LES MYTHES DE L'ÂME Présence des mythes et des leurs pouvoirs dans divers ordres Une différence me paraît essentielle: les complexes et les archétypes sont définis comme des structures de l'inconscient, tandis que les mythes parlent de l'âme. [...]
[...] Est-il aimé par elle? Rien d'humain ne paraît rapprocher nos deux amants, bien au contraire. Lors de leur première rencontre, ils n'ont que des rapports de politesse conventionnelle. Et quand Tristan revient en quête d'Iseut, on se souvient que cette politesse fait place à la plus franche hostilité. Tout porte à croire que librement ils ne se fussent jamais choisis. Mais ils ont bu le philtre, et voici la passion. Pourtant, ils le confessent chez Ogrin: ils ne s'aiment pas. [...]
[...] Le mythe exprime ces réalités dans la mesure où notre instinct l'exige, mais il les voile aussi dans la mesure où le grand jour et la raison les menaceraient. La passion de Tristan et d'Iseut est contenue par les règles de la chevalerie. Le succès du roman est d'avoir su ordonner la passion dans un cadre où elle pût s'exprimer en satisfaction symbolique. Or si ce cadre disparaît, cette passion n'en subsiste pas moins. Elle est toujours aussi dangereuse pour la vie en société. D'où la permanence historique non point du mythe sous sa forme première, mais de l'exigence mythique à laquelle répondait le Roman. [...]
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