L'historiographie musulmane médiévale célèbre en Saladin le champion du combat contre les
Francs et le guerrier exemplaire. Les diverses biographies qui lui ont été consacrées par ses proches
n'y sont pas étrangères, comme le montre ce récit de Bahâ ad-Dîn (Ibn Shaddâd), issu des Anecdotes
et Beaux traits de la Vie du Sultan Youssof et cité par Francesco GABRIELI dans ses Chroniques
arabes des croisades.
Bahâ ad-Dîn est né à Mossoul en 1145 [539] et mort à Alep en 1234 [632]. Il entre au service de
Saladin en 1188 avec la fonction de cadi de l'armée et reste fidèle à ce dernier jusqu'à sa mort en
1193. Bahâ ad-Dîn est donc non seulement contemporain des événements, mais également très bien
renseigné sur la vie du sultan, ce qui fera dire à Francesco GABRIELI que la biographie qu'il a
rédigée est la meilleure source, dont l'on dispose sur Saladin. Cependant, il faut se méfier du parti pris
de Bahâ ad-Dîn, qui témoignage dans son œuvre de son dévouement et de son admiration totale pour
le sultan.
A la mort de Nûr al-Dîn en 1174, Saladin cherche à lui succéder et à prendre le contrôle de la
Syrie. Parallèlement, Saladin appelle dès 1176 au djihad et mène des opérations, très limitées, contre
les Francs, mais il est battu par Baudouin IV à Montgisard en 1177 et une trêve est conclue en 1180.
Après avoir rassemblé sous son égide les principaux chefs musulmans, il profite de la violation de la
trêve en 1187 par Renaud de Châtillon pour appeler de nouveau au djihad et mener un assaut
important ; le 4 juillet, il anéantit les Francs à Hattîn et peut alors entrer en Palestine.
Fidèle aux injonctions coraniques, Saladin est passionné par le djihad et a tout sacrifié pour y
participer, sans peur des dangers ; il échappe de peu à la mort dans la plaine d'Acre. Il aime à lire des
ouvrages sur le djihad, comme celui qu'a composé pour lui Bahâ ad-Dîn et qu'il prête à son fils al-
Malik al-Afdal. Après avoir pris Kawkab en janvier 1189 et congédié les troupes, il se rend avec son
frère al-Malik al-cAdil à Jérusalem pour la prière du caîd- al-adhha. Ils vont ensuite à Ascalon, puis
Saladin décide de suivre le littoral jusqu'à Acre avec des proches, alors que les Francs sont concentrés
à Tyr. Sur le chemin, Bahâ ad-Dîn est effrayé par la mer déchaînée et quand Saladin lui confie sa
volonté de poursuivre le djihad en Occident, il lui répond que le sultan ne devrait exposer sa vie car il
est la champion de l'Islam ; Saladin rétorque en affirmant qu'il ne risquerait que la plus noble des
morts, celle de mourir pour Dieu.
Nous pouvons alors nous demander comment Bahâ ad-Dîn va présenter Saladin pendant ce qui va
être la phase la plus glorieuse de son djihad et ce que nous pouvons en apprendre sur le djihad luimême.
Après avoir étudié dans une 1ère partie la naissance du mythe de Saladin comme « défense et
rempart de l'Islam », nous verrons quelles sont les actions du djihad qu'il a menées de 1187 à 1189, et
enfin que ce texte renseigne sur les usages du djihad s'imposant au XIIe siècle.
[...] Pour Saladin, la plus noble des morts est la mort sur les chemins de Dieu (l.86-88). Il réaffirme plusieurs fois cette idée l.69 ou bien alors de mourir en insistant sur la préparation que cela implique partager mes territoires, écrire mon testament et dicter mes volontés (l. 65-66)). Le djihad est un combat permanent, et c'est dans cette finalité que le mot même prend son double sens, permettant de distinguer le petit djihad, qui est la lutte armée, du grand djihad qui est l'effort tendu en vue du perfectionnement moral et religieux. [...]
[...] Dans ce texte, Saladin congédie son armée après ces victoires. En réalité l'armée s'est affaiblie, disloquée après l'arrêt du siège de Tyr. A partir de cette date, la mobilisation pour le djihad devient le principal problème de Saladin. Cependant, même si ces difficultés sont réelles, elles sont passées sous silence par Bahâ ad-Dîn qui montre Saladin congédiant ses armées pour poursuivre un djihad de plus grande ampleur. La volonté d'étendre le combat par-delà les mers En effet, le djihad, à la différence de la guerre sainte des Francs, ne connaît pas de limite, spatiale ou temporelle. [...]
[...] L'état du monde, La Découverte/Poche, Paris Sur le djihad FLORI, Jean, Guerre sainte, djihad, croisade, coll. Point Histoire, Seuil PARTNER P., Holy War, Crusade and Jihād in BALARD Michel, Autour de la première croisade, Série Byzantina Sorbonensia, Publications de la Sorbonne p. 333-343 SIVAN, Emmanuel, L'Islam et la croisade : idéologie et propagande dans les réactions musulmanes aux croisades, éd. A. Maisonneuve, Paris WILLEMART, Pierre, Pour Jérusalem, croisade et djihad, éd. Félin, Paris Sur Saladin MOUTON, Jean-Michel, Saladin, le sultan chevalier, coll. [...]
[...] I Saladin : rempart et défense de l'Islam ? Le changement de dynastie opéré par Saladin nécessite de légitimer ce nouveau pouvoir, en s'inscrivant dans la continuité de Nûr al-Dîn. Ainsi, il en garde l'image du souverain responsable du djihad, ce qui requiert deux qualités : être lui-même l'exemple vivant de l'orthodoxie mais aussi le mujahid par excellence. Le zèle d'un croyant L'image transmise de Salah al-Dîn par ses contemporains, et d'abord par ses deux biographes, son secrétaire Imâd al-Dîn et Bahâ ad-Dîn, est celle d'un homme "croyant sincèrement aux dogmes de la foi". [...]
[...] 3e ville sainte de l'Islam, elle tombe le jour anniversaire de l'ascension nocturne de Mahomet. A la fin de l'année 1188, début 1189, tout le royaume de Jérusalem (sauf Tyr) est pris, même les forteresses les plus inexpugnables, telles que Kawkab (Belvoir). En dhû al-qacda de 584 [janvier 1189] il avait pris Kawkab [forteresse des Hospitaliers près de Tibériade] et congédié les troupes (l.32-34) A cette date, Saladin semble considérer la reconquête des territoires de Palestine comme achevée. Cependant le péril franc menace toujours : les Francs étaient concentrés à Tyr (l. [...]
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