Cette synthèse historique peut se définir comme une approche conceptuelle de la religion et de la sorcellerie à la fin du Moyen Âge. Néanmoins, ce travail ne suit pas la droite lignée des études jusqu'alors menées sur un sujet propice aux controverses idéologiques, aux polémiques entre historiens, bref aux « batailles historiographiques. »
En ce sens, le but est d'appréhender les rapports insolites qui peuvent rapprocher deux systèmes habituellement considérés comme antinomiques, à savoir la sorcellerie et la religion chrétienne. Concrètement, l'idée consiste à analyser simultanément les interactions et les similitudes entre sorcellerie et orthodoxie religieuse, sans toutefois en occulter les différences. Faussés par les clichés sur l'Inquisition ou les assemblées sabbatiques, les rapports entre sorcellerie, Église et orthodoxie religieuse sont trop souvent pensés en termes de conflits ou d'opposition. Ces deux concepts partagent pourtant de nombreux points de convergence, d'où l'apport nécessaire d'une vision novatrice de leurs relations.
Le terme de sorcier vient du bas latin sorcerius, qui signifie « diseur de sort », et désigne celui qui pratique des sortilèges. Le vocable sortilège, du latin médiéval sortilegium et du latin sortilegus, signifient « qui lit le sort ». Le mot maléfice, venant du latin maleficium, renvoie au sortilège malfaisant. L'usage du terme sorcellerie, qui qualifie l'état du sorcier, n'est pas attesté avant le XVe siècle. Le terme de sorcellerie englobe diverses pratiques pour lesquelles on suivra les définitions élaborées par Jean-Patrice Boudet : l'invocation consiste à appeler des démons ou le Diable en personne, contrairement à la conjuration qui vise à chasser les démons ou combattre une influence maléfique. L'enchantement est un phénomène surnaturel produit par des incantations ou des formules magiques. La fascination est quant à elle identifiable au trouble, à l'égarement d'une personne ou d'un animal par un enchantement ou un sortilège. La fascination n'est pas très éloignée de la ligature (ou ligation) à la différence que le sortilège, effectué en liant des objets entre eux, cherche à suspendre une fonction du corps de la victime. Enfin, l'envoûtement (de l'ancien français voult, « visage, image ») est la représentation d'une personne par une figure de cire, de plomb ou de terre glaise, dans le but de faire subir à la personne représentée l'effet magique des invocations prononcées devant la figurine ou des atteintes portées au voult. Cette approche résume la variété des pratiques communément assimilées à la sorcellerie.
S'il s'agit d'abord d'une représentation au Moyen Âge, la sorcellerie est aussi un système de croyances associées à des pratiques expérimentales en vue d'une communication avec le surnaturel. Pour reprendre les mots de Richard Wagner, la sorcellerie repose sur une physique qui tend vers une métaphysique . La sorcellerie est une magie à caractère rudimentaire qui accorde une grande place aux pratiques secrètes ou illicites. On peut la définir comme l'art de produire, par des procédés occultes, des phénomènes inexplicables en fonction des lois de la nature, ou perçus comme tels.
[...] De même, une étude du Livre des Esperits a permis à Boudet de relever plusieurs noms de diables bienveillants. La sorcellerie recouvre donc à la fois une magie noire et une magie blanche Toutefois, à la fin du Moyen Âge, les clercs comme les magistrats ignorent cette distinction. La doctrine confond les sorciers, sorcières, charmeurs, enchanteurs, invocateurs, nigromanciens, ensorceleurs, facturiers, dans la mesure où ils représentent tous un même personnage, un individu lié au Diable et dont les pouvoirs viennent du Malin[14]. [...]
[...] Le livre signé et scellé, tout l'enfer se trouve soumis aux volontés de celui qui s'en sert. Moi (on se nomme), je te conjure, esprit (on nomme l'esprit qu'on veut évoquer), au nom du grand Dieu vivant qui a fait le ciel et la terre et tout ce qui est contenu en iceux, et en vertu du saint nom de Jésus- Christ, son très-cher fils, qui a souffert pour nous mort et passion à l'arbre de la croix, et par le précieux amour du Saint-Esprit, trinité parfaite, que tu aies à m'apparaître sous une humaine et belle forme, sans me faire peur, ni bruit, ni frayeur quelconque. [...]
[...] KIECKHEFER Richard, European witch trials. Their foundations in Popular and learned Culture, 1300-1500, Berkeley-Los Angeles KIECKHEFER Richard, Magic in the Middle Ages, Cambridge KIECKHEFER Richard, The Office of Inquisition and Medieval Heresy: The Transition from Personal to Institutional Jurisdiction Journal of Ecclesiastical History, vol Janvier 1995, Cambridge University Press. KLANICZAY Gabor, Entre visions angéliques et transes chamaniques : le sabbat des sorcières dans le Formicarius de Nider Médiévales, 44, PUV, Printemps 2003, p. 47-72. LAHARIE Muriel, La folie au Moyen Âge, Le léopard d'or La Mort au Moyen Âge, Colloque de l'Association des historiens médiévistes français, Strasbourg, Publications De la Société savante d'Alsace et des régions de l'Est, Coll. [...]
[...] Les juges prêtent à Adeline un double jeu, celui de servir Satan sous couvert de servir Dieu[41]. La liste des défenseurs de Dieu glissant vers les pratiques magiques est longue. L'orthodoxie devient simulacre et la frontière dissociant le bien du mal vole en éclats. La cohésion de la communauté chrétienne laisse place à l'anomie : la rigidité des lois érigées par le droit canonique cède devant l'absence, la contradiction ou la confusion des règles. Toutefois, si certains clercs vont vers la sorcellerie, l'inverse est aussi vrai. [...]
[...] Ces décisions, prises par des hommes, sont avant tout d'inspiration divine, d'où leur légitimité et leur infaillibilité. Le Pape et les évêques, successeurs des apôtres, tiennent du Christ lui-même pour gouverner l'Église en portant des lois universelles (ils ont aussi le pouvoir de lier et de délier les fidèles de la communauté des chrétiens, le droit de jeter l'anathème sur les hérétiques). La centralisation institutionnelle pour la fixation du dogme est d'abord nécessaire pour combattre les déviations doctrinales, les hérésies et les croyances hétérodoxes. [...]
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