Les historiens du XIXe siècle décrivaient sous le nom de "féodalité" une période de faiblesse de la monarchie qu'ils considéraient comme relativement homogène. Elle débutait à leurs yeux avec l'Assemblée de Quierzy (877), qui enregistrait une évolution vers la patrimonialité des honores, et prenait fin à la bataille de Bouvines (1214), qui symbolisait la victoire de la royauté sur les forces centrifuges.
Entre ces deux dates, tout n'était qu'anarchie, à peine sauvée par le mince, mais brillant éclat de la réforme grégorienne, qui aurait tenté de ramener l'Occident au christianisme et à la civilisation. Dans les années 1930, les analyses sociales de Marc Bloch relativisèrent profondément les prétendus désordres féodaux, mais elles ne remirent pas en cause l'unité de la période.
L'idée d'une mutation profonde de la société autour de l'An Mil apparaît avec Georges Duby, dans sa thèse sur le Mâconnais (1953). Elle fut approfondie par les études de Pierre Bonnassie sur la Catalogne (1975) et de Jean-Pierre Poly sur la Provence (1976). Le livre de Jean-Pierre Poly et Éric Bournazel, "La mutation féodale" érigea cette conception en modèle.
Aujourd'hui, l'hypothèse d'une césure chronologique forte autour de l'an Mil semble pourtant presque abandonnée. Les différents éléments du débat méritent d'être rappelés, même si la brièveté du propos ne manquera pas de faire perdre la plupart de leurs nuances.
[...] En réalité, un certain nombre de transformations féodales s'opère sur la longue durée. Le passage brutal de l'esclavage antique au servage peut ainsi être largement remis en cause. Dès le IVème siècle, les hommes de statut servile avaient connu de nombreuses améliorations de leur condition. Inversement, dès l'époque carolingienne, la documentation domaniale montre que des hommes libres tenancier se trouvaient astreints à des corvées. De même, la raréfaction des alleutiers est extrêmement variable selon les régions. Dans le Bassin parisien, elle est probablement antérieure au Xème siècle. [...]
[...] Elle trouve son expression la plus forte dans le livre de Dominique Bathélémy, La mutation de l'an Mil a-t-elle eu lieu ? Le renouvellement des sources Les anti-mutationnistes proposent avant tout de voir les prétendus changements de civilisation comme une évolution dans les matériaux de l'historien. Dans le domaine de l'écrit documentaire, avant l'An Mil, on dispose majoritairement de chartes, très formalisées et à forte teneur juridique. Après l'An Mil, la notice (une forme beaucoup plus libre et plus narrative) l'emporte. [...]
[...] Or, on peut facilement relativiser la dégradation institutionnelle. L'Empire ottonien puis salien maintient largement les structures carolingiennes. Même en France, comtes et vicomtes continuent à administrer la justice. Bien sûr, les procédures décrites par les sources du XIème siècle sont un peu surprenantes. Dans beaucoup de régions, la preuve écrite semble moins utilisée, alors que l'on observe des négociations, des conventions, des ordalies ou des recours au serment. Mais la justice carolingienne n'a jamais fonctionné autrement. Les pratiques réelles se trouvaient simplement dissimulées par les formulaires ou par les belles instructions aux missi dominici contenues dans les capitulaires. [...]
[...] La mutation féodale a-t-elle eu lieu ? Introduction Les historiens du XIXème siècle décrivaient sous le nom de féodalité une période de faiblesse de la monarchie qu'ils considéraient comme relativement homogène. Elle débutait à leurs yeux avec l'assemblée de Quierzy qui enregistrait une évolution vers la patrimonialité des honores, et prenait fin à la bataille de Bouvines (1214), qui symbolisait la victoire de la royauté sur les forces centrifuges. Entre ces deux dates, tout n'était qu'anarchie, à peine sauvée par le mince mais brillant éclat de la réforme grégorienne, qui aurait tenté de ramener l'Occident au christianisme et à la civilisation. [...]
[...] L'heure est plutôt aux études micro-régionales, à l'étude d'une institution particulière ou à la prosopographie d'un groupe réduit. Bibliographie La mutation féodale [Texte imprimé] : Xe-XIIe siècles Poly, Jean-Pierre / Presses universitaires de France / 1980 La mutation de l'an mil [Texte imprimé] : Lournand, village mâconnais, de l'Antiquité au féodalisme Bois, Guy (1934- . ) / Fayard / impr La mutation de l'an mil a-t-elle eu lieu ? [Texte imprimé] : servage et chevalerie dans la France des Xe et XIe siècles Barthélemy, Dominique (1953- . ) / Fayard / impr. [...]
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