Le Moyen Age s'est-il terminé à Agnani?

Résumé du document

La scène est connue au point de faire partie de l'imagerie traditionnelle de l'histoire de France version Mallet-Isaac. Rappelons les faits : un envoyé du roi de France, Guillaume de Nogaret, gifle un pape, Boniface VIII, qui refusait de céder aux désirs de son maître. L'attentat d'Agnani vient d'être commis. Cet acte ne se limite pas à son aspect « sacrilège », il va également au-delà de la simple querelle entre Philippe le Bel et Boniface VIII sur un sujet somme toute mineur, la contribution fiscale du clergé. Ce conflit c'est celui de l'ambition des Capétiens d'affirmer leur souveraineté, entendue comme l'autorité non soumise à une contrainte extérieure du roi sur son royaume, et de la souveraineté du pape, glaive spirituel de cette chrétienté médiévale. Aussi, ce soufflet qui marque l'avènement de la souveraineté du Prince et la fin de la légitimité du spirituel, c'est surtout la fin de l'intégration de la société européenne du Moyen Age…

Extraits

[...] Le Moyen Age s'est-il terminé a Agnani? La scène est connue au point de faire partie de l'imagerie traditionnelle de l'histoire de France version Mallet-Isaac. Rappelons les faits : un envoyé du roi de France, Guillaume de Nogaret, gifle un pape, Boniface VIII, qui refusait de céder aux désirs de son maître. L'attentat d'Agnani vient d'être commis. Cet acte ne se limite pas à son aspect sacrilège il va également au-delà de la simple querelle entre Philippe le Bel et Boniface VIII sur un sujet somme toute mineur, la contribution fiscale du clergé. [...]

[...] Cependant, le Pape reste seul représentant de Dieu sur terre et est donc l'interprétant en dernier ressort des volontés divines et à ce titre peut intervenir dans les affaires de l'Empire. Néanmoins, depuis les Dictatus Papae de Grégoire VII consécutifs à la victoire de la papauté dans le conflit qui l'opposait à l'Empereur, le pape prétend détenir aussi bien le glaive spirituel que temporel, il confère le second au prince pour qu'il en fasse l'usage que le pape lui précise. [...]

[...] L'indépendance face à l'empereur n'est plus à réclamer car totalement acquise dans les faits depuis la bataille de Bouvines en 1214. Le conflit entre le roi et l'Empereur devait finir par un conflit avec le Pape car, tout autant que l'Empereur, le Pape participe au modèle qui bloque la légitimation pleine et entière du pouvoir royal. Ainsi, le point de vue royal ne peut raisonner dans le cadre de la théorie des deux glaives, ni imaginer comme le Pape une substitution entre le roi et l'empereur en son sein car cette substitution implique la reprise par le nouveau pouvoir, des devoirs de l'ancien. [...]

[...] De la même manière, le déplacement de la papauté en Avignon, sa mise sous tutelle par les rois de France et surtout le grand schisme de 1378 illustrent la fin du paradigme médiéval façonné par l'augustinisme et l'avènement d'une souveraineté royale indépendante du pouvoir spirituel incarné par le Pape. Ainsi, l'événement d'Agnani marque une étape décisive dans la naissance du concept de souveraineté en tant que fait d'exercer une autorité sur un territoire sans contrainte extérieure au profit du roi ou du prince dans ce cas. La Révolution reprendra ce concept de souveraineté en faisant basculer l'autorité du prince au peuple. [...]

[...] Ce faisant, il signe la fin de l'intégration de la société européenne médiévale. Cependant, plutôt que de fin du Moyen Age, il faudrait plutôt qualifier l'événement d'Agnani et ses conséquences de césure entre un avant façonné par la théorie des deux glaives et un après marqué par la montée en puissance des grands Etats. Bibliographie _ BARRET-KRIEGEL Blandine, L'Etat et ses esclaves Payot _ PICQ Jean, Histoire et droit des États : la souveraineté dans le temps et l'espace européens Presses de Sciences-Po _ FAVIER Jean, Philippe le Bel Fayard _ RIVIERE Jean, Le problème de l'Eglise et de l'Etat au temps de Philippe le Bel : étude de théologie positive Champion _ LEVIS MIREPOIX Antoine de, Le siècle de Philippe le Bel Amiot- Dumont, 1954. [...]