A partir de 1050, une très profonde mutation de l'Église d'Occident s'opère, qu'on a coutume d'appeler « réforme grégorienne », du nom du pape Grégoire VII (1073-1085) qui la symbolise particulièrement. Ce cours se concentre sur un aspect essentiel de cette mutation : la lutte entre les papes et les empereurs, c'est à dire les deux pouvoirs universels hérités de l'Antiquité chrétienne tardive ; il ne peut éviter la question des rois (qui n'ont pas vocation universelle) et de leur interférence dans ce conflit, pour deux raisons : les papes ont souvent expérimenté avec eux des solutions qui se sont ensuite imposées, moyennant quelques changements, pour résoudre la querelle avec l'Empire ; les rois et les pouvoirs princiers ont parfois constitué une arme aux mains des papes pour affaiblir leur ennemi impérial.
Par ailleurs, cette mutation de l'Eglise latine d'Occident ne concerne pas seulement les relations avec les pouvoirs laïcs : elle a des incidences ecclésiologiques (l'ecclésiologie, littéralement « science de l'Eglise », consiste dans la façon dont l'Eglise se conçoit : comment elle envisage sa structure hiérarchique, le rôle de ses différents membres, etc.) extrèmement fortes : elle renouvelle les conceptions des relations entre clercs et laïcs, et à l'intérieur du monde des clercs, entre les évêques et le pape. Chronologiquement, ce cours s'arrête vers 1120 (exactement 1122-1123 : le 23. 09. 1122, le « concordat de Worms » entre le pape et l'empereur est signé, mettant fin à une première séquence du conflit, celle dite « querelle des investitures » ; en 1123 le pape Calixte II célèbre sa « victoire » par le premier concile oecuménique du Latran) ; mais en réalité, le conflit se poursuit, sous des formes renouvelées, bien après ces années : il culmine en 1245 avec la déposition par le pape Innocent IV de l'empereur Frédéric II ; la « théocratie » papale semble à son apogée vers 1280, avant que le pape Boniface VII ne s'affronte au roi de France Philippe le Bel au tournant des XIIIe-XIVe siècles : c'est contre les rois, souvent leurs anciens alliés, surtout les Capétiens « fils aînés de l'Eglise », que les papes finissent par perdre la bataille contre les pouvoirs laïcs qu'ils paraissaient pourtant avoir gagnée. Signe qu'il s'agissait d'un conflit de très vaste portée, dont on n'examinera ici qu'un moment et certains aspects.
Pour pouvoir comprendre la portée spécifique du conflit papauté/empire jusque vers 1120, il faut en préalable situer les grands enjeux de ce que les historiens ont nommé la « réforme grégorienne », c'est à dire le cadre sur lequel se détache l'affrontement des deux pouvoirs universels.
[...] Si le Prince n'est pas capable de les atteindre, c'est qu'il est un shadow-king bon pour la déposition. Les Carolingiens avaient en fait eux-mêmes ouvert cette porte en 751 en interrogeant par émissaires interposés le pape Zacharie pour savoir s'ils pouvaient prendre le titre royal aux Mérovingiens, qu'ils avaient déjà supplantés en réalité. Les métaphores fleurissent : un pouvoir laïc légitime est comme une poitrine et des bras pour obéir et défendre l'Eglise ; et les syllogismes : si l'on admet la prééminence du pape, son autorité pleine et entière en matière spirituelle, que d'autre part on est d'accord avec l'idée que le Spirituel l'emporte sur le Temporel, à plus forte raison le pape doit-il être prééminent dans le domaine inférieur et subordonné que constituent les affaires séculières. [...]
[...] Le pape devient à son tour un Prince, un souverain, et même le premier des souverains : lui seul peut user des insignes impériaux affirme un article des Dictatus papae ; article qui renvoie en fait à un très célèbre texte, la fausse Donation de Constantin élaborée au Latran dans la seconde moitié du VIIIe siècle par un chanoine de la basilique. En substance ce texte présente la Rome pontificale et le successeur de Pierre comme les héritiers de l'Empire romain d'Occident : Constantin aurait fondé Constantinople pour donner l'Italie, certaines îles de la Méditerranée et l'Espagne, au pape ; cette élévation au rang impérial s'est accompagnée de la remise des insignes correspondants ; ce texte s'appuie en fait sur un acquis récent pour extrapoler : les territoires effectivement donnés par les Carolingiens au VIIIe siècle au pape ; sa fausseté n'a été démontrée qu'au milieu du XVe siècle par l'érudit renaissant Lorenzo Valla ; bref tout le Moyen Âge y a cru à peu d'exceptions près. [...]
[...] De sorte que l'argumentation grégorienne en vient rapidement à déborder très largement la sphère étroite des rapports intra-ecclésiaux : la conception étendue de la simonie touche les Grands ; au-delà, leur conduite morale est désormais surveillée (ainsi à la fin du XIe siècle le roi Philippe Ier de France se retrouve-t-il excommunié pour avoir abandonné son épouse légitime au profit de celle que le pape considère comme un liaison adultère, l'ex-femme du comte d'Anjou, Bertrade de Montfort). Si nombre d'évêques sont ennuyés par l'évolution des conceptions grégoriennes, certains se montrent d'emblée très courageux, ainsi Yves de Chartres qui soutient le pape face à son roi Philippe dans l'affaire évoquée. On retrouvera cet évêque lorsqu'il s'agira précisément d'élaborer un compromis juridique permettant de sortir de l'impasse simoniaque. [...]
[...] C'est peut-être d'ailleurs ce qui les rend plus indifférents aux églises séculières et à leurs desservants, qu'ils ne fréquentent guère, préférant leur chapelle privée ou le sanctuaire familial, faisant la tournée des hauts lieux du culte des reliques, le plus souvent des monastères, qui se trouvent sur leur trajet. Ils ne peuvent pour autant tolérer qu'un évêque bon administrateur mais absolument indigne désserve une cathédrale, toujours située au coeur d'une importante cité : l'opinion publique existe au Moyen Âge, les Princes doivent en tenir compte. [...]
[...] Signe qu'il s'agissait d'un conflit de très vaste portée, dont on n'examinera ici qu'un moment et certains aspects. Pour pouvoir comprendre la portée spécifique du conflit papauté/empire jusque vers 1120, il faut en préalable situer les grands enjeux de ce que les historiens ont nommé la réforme grégorienne c'est à dire le cadre sur lequel se détache l'affrontement des deux pouvoirs universels. I Idéologie réformatrice et réalité des pratiques de l'Eglise grégorienne Extensivité d'un concept flou : Libertas Ecclesie (la liberté de l'Eglise Le syntagme Libertas Ecclesie revient très abondamment dans les sources de la controverse entre papes et empereurs : le terme dénonce en général l'ingérence laïque dans les affaires de l'Eglise ; peu fréquent dans la Bible, il tire son contenu, ainsi que que son caractère très juridique, de son origine surtout romaine : revendiquer sa liberté en termes de droit romain, ce n'est en aucun cas s'opposer en termes libertaires à l'ordre ; au contraire, c'est demander à bénéficier, dans le cadre reconnu par la loi impériale, de la jouissance pleine et entière des droits inhérents à son statut (ainsi, dans le cas d'un homme libre, sa liberté consiste en l'exercice de droits dont un esclave ne dispose par nature pas). [...]
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