Nous partirons du fameux texte de l'évêque de Laon, Adalbéron, qui, dans son poème au roi Robert, Robert le Pieux le fils de Hugues Capet vers 1030, dit la chose suivante : " La maison de Dieu, que l'on croit une est donc divisée en trois : les uns prient, les autres combattent, les autres enfin travaillent." Ce sont les fameux oratores (ceux qui prient), bellatores (ceux qui combattent), laboratores (ceux qui travaillent). « Ces trois parties qui coexistent ne souffrent pas d'être disjointes. Les services rendus par l'une sont les conditions des œuvres des deux autres, chacune à son tour se charge de soulager l'ensemble. Ainsi, cet assemblage triple n'en est pas moins uni et c'est ainsi que la loi a pu triompher et le monde jouir de la paix."
Ce fameux texte qui est très connu puisqu'il figure sous une forme simplifiée dans tous les manuels de 5ème pour montrer la division tripartite de la société chrétienne au moyen âge classique, ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent, insiste donc sur le phénomène de complémentarité et d'interdépendance entre les trois ordres de la société, phénomène de complémentarité et d'interdépendance de la société trifonctionnelle qui a perduré jusqu'en 1789.
Ceci dit, c'est un texte qu'il faut resituer dans son contexte et au sujet duquel il faut éviter plusieurs contresens : d'abord, ce n'est pas le seul texte de cette période où l'on trouve ce thème, on trouve déjà ce thème de la tri fonctionnalité dans les Gestes des évêques de Cambrais, fait par l' évêque de la ville, Gérard de Cambrais en 1024.
- Le premier contresens à éviter au sujet de ce texte, c'est de croire que les bellatores, ce sont l'ensemble de ceux qui combattent, en fait, dans l'esprit d'Adalbéron, il s'agit essentiellement des princes et en particulier de son destinataire le roi Robert le Pieux.
- Le second contresens à éviter, c'est s'imaginer que ce système trifonctionnel est novateur au début du 11ème siècle. Au contraire, il est plutôt conservateur et passéiste, nostalgique du système idéologique carolingien. On peut dire que ce système trifonctionnel, tel qu'il est présenté par Adalbéron, exprime pour la dernière fois avant longtemps, et même pour la dernière fois en fait, la conception carolingienne de la royauté. Le roi ou le prince carolingien, protecteur des évêques et des paysans face à la violence arbitraire des chevaliers, qui n'est pas encore régularisé et intégré à la société chrétienne vers 1030, voilà en gros le message essentiel de ce texte.
- Le troisième contresens à éviter, c'est de croire que ce texte décrit la société du début du 11ème siècle telle qu'elle est et non pas telle qu'elle devrait être. Le poème au roi Robert qu'écrit Adalbéron de Laon, est en effet ce qu'on peut appeler un miroir du prince, c'est à dire le portrait d'un prince, d'un roi idéal, censé jouer un rôle pacificateur et régulateur dans la société et le problème c'est que le roi Robert le Pieux a beaucoup moins de pouvoirs que ce que souhaiterait Adalbéron de Laon, qu' à cette époque en effet, le roi capétien n'a qu'un faible pouvoir, qu'il n'a qu'une prééminence assez faible liée à sa qualité de roi ; son domaine royal est centré essentiellement sur le Bassin parisien et il n'a donc pas les moyens matériels de la politique grandiose que lui propose Adalbéron de Laon. Il n'a donc aucun moyen de contribuer au maintien réel de l'équilibre social dans cette société trifonctionnelle que définie Adalbéron de Laon. C'est la raison pour laquelle, ce beau programme idéologique, qui déjà était passéiste, n'a en fait absolument pas été appliqué dans l'immédiat. Il a été appliqué en fait beaucoup plus tard, à partir du troisième quart, voir du quatrième quart du 12ème siècle. On retrouve en effet ce schéma trifonctionnel, qui a pratiquement été abandonné, dont on a en tout cas aucun témoignage textuel à partir du milieu du 11ème siècle, il réapparaît, ce schéma trifonctionnel vers 1175 lorsque la chevalerie qui est née vers le 11ème siècle, est intégrée à la noblesse et lorsque l'idéal chevaleresque est adopté par l'ensemble de l'aristocratie, et que les rois eux-mêmes se considèrent comme les premiers des chevaliers. C'est ce qui se passe en particulier, à la cours des Plantagenêt, les rois d'Angleterre qui sont en même temps ducs de Normandie, ducs d'Aquitaine et qui contrôlent la moitié ouest du royaume du France, en particulier à la cours du roi Henri II Plantagenêt on voit réapparaître plusieurs textes, en particulier l'Histoire des ducs de Normandie de Benoît de Sainte Maure, ce fameux schéma trifonctionnel. Ce schéma trifonctionnel qui ressurgit donc et qui ensuite va constituer une sorte de lieu commun décrivant l'équilibre de la société chrétienne jusqu'à la fin du moyen âge, voire jusqu'à la fin de l'époque moderne. Il faut donc se mettre en garde contre tout simplisme et ne voir, dès l'an mille dans l'idéologie tripartite, qu'une simple transposition de la trifonctionnalité chère à Dumézil. Cette idéologie ne triomphe finalement qu'à la fin du 12ème siècle, c'est ce que montre très bien Georges Duby dans son livre "Les trois ordres ou l'imaginaire du féodalisme", et cette idéologie ne triomphe véritablement dans l'organisation effective de la société qu'à la fin du moyen âge lorsque qu'apparaît effectivement une société d'ordre en particulier lorsque apparaissent les Etats Généraux qui sont constitués de trois ordres : la noblesse, le clergé et le tiers état dominé par la bourgeoisie urbaine.
[...] D'où dans la littérature courtoise, l'opposition très forte entre le noble et le vilain, celui qui n'est pas noble, entre le genre de vie noble et ce qu'on appelle la dérogeance. Et la poésie des troubadours, au tournant des 11ème et 12ème siècle, naît très précisément au moment de l'anoblissement de la chevalerie est de fait accompli. Autre modèle culturel très important, commun à l'aristocratie, c'est le rôle de l'Eglise, le développement de ce que l'on peut appeler la milicia christie, c'est à dire la milice du christ, la chevalerie du christ, qui est antérieure aux croisades, qui est véhiculée par une série de documents littéraires comme la vie de Saint Géraud d'Aurillac, au 10ème siècle, qui est la première vitae du moyen âge dont le héros est un laïc, et qui montre qu'on peut atteindre la sainteté sans déposer les armes, en devenant le chevalier du christ. [...]
[...] Il n'y a pas une liberté au moyen âge, il y a des libertés, économiques, juridiques, politiques, qui correspondraient à ce que l'on pourrait appeler des privilèges et qui fait que l'on est plus ou moins libre selon les privilèges qu'on possède ou qu'on ne possède pas. Les serfs étant donc ceux qui ont le moins de privilèges au sein de la population rurale, de la population paysanne. Autre problème historiographique très important : celui de la provenance et de la géographie de ce fameux servage. Il semble qu'une minorité des serfs au total, et non pas une majorité comme l'on a cru très longtemps, aient été des descendants d'esclaves de l'antiquité ou de l'époque carolingienne. [...]
[...] - Le serf : cette catégorie est en fait assez proche dans la réalité de la catégorie du vilain. Ces deux catégories en tout cas, cerfs et vilains, ont comme point commun de vivre au sein du système seigneurial, alors que les alleutiers, eux, par définition, vivent en dehors du système seigneurial. Le servage apparaît au 11ème/12ème siècle. L'historiographie du servage à une histoire assez longue et pose des problèmes de vocabulaire et de chronologie. Le "non libre", à l'époque carolingienne, c'est le servus, mais ce mot que nous serions tentés de traduire par "esclave", ce qu'il était effectivement et ce par quoi il faut traduire à l'époque carolingienne, et que nous sommes tentés de traduire par serf à l'époque du moyen âge central, ce mot de servus est en fait un mot qui s'efface très largement dans la documentation au 11ème et 12ème siècle. [...]
[...] Parce que les progrès économiques ou politiques ont été les plus nets, les plus importants. Il y a en effet une concomitance relative entre la rareté du servage et l'importance des progrès économiques qui ont contribué sans aucun doute à l'amélioration de la condition paysanne. On assiste en effet au 12ème et 13ème siècle à une baisse du servage un peu partout en Occident, du fait des franchises, c'est à dire des privilèges concédés aux paysans essarteurs au moment des grands défrichements qui s'accompagnent d'allégement des redevances serviles, voir d'abandon de ces redevances serviles et on assiste, au 13ème siècle, un peu partout en Occident, en particulier dans le bassin parisien, à des affranchissements collectifs, ce qu'il ne faut pas confondre avec les franchises qui ne concerne que soit des paysans individuels, soit une catégorie bien précise de paysans, les affranchissements collectifs qui là, concerne l'ensemble de la communauté villageoise d'une région déterminée. [...]
[...] - Le serf n'a pas un déplacement libre. Il n'est pas libre de ses mouvements. Il y a un droit de suite contre les fuyards serfs qui est plus menaçant qu'efficace, mais qui existe en tout cas. Il y a donc des tâches serviles et d'abord des entraves. Mais il y a aussi des taxes spécifiques que paient les serfs, que tous les serfs paient, même si, on vient de le voir, dans certaines régions, des hommes qui peuvent être libres par ailleurs, paient également. [...]
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