« Surge de otio ad laborem » (« Lève-toi et passe du repos au travail »), voilà ce qu'écrivait Bernard à un moine clunisien qu'il voulait attirer à Clairvaux. Cela relate brièvement ce qui opposait cisterciens et clunisiens : la déformation de la Règle de Saint Benoît qui fut rédigée à partir de 534. Celle-ci est la base spirituelle des moines bénédictins. Effectivement, l'abbaye de Cluny fut créée en 909 ou 910 en s'inspirant de cette règle. Cette abbaye et toutes ses dépendances (un réseau de 1200 abbayes dont 800 en France, comprenant environ 10 000 moines) fut l'ordre monastique le plus influent de toute la chrétienté alors qu'un affaiblissement de la hiérarchie séculière fut présent du Xème siècle au début du XI eme siècle. Mais la richesse de Cluny et son influence dans le siècle provoqua de virulentes critiques. De celles-ci naquit Cîteaux en 1098 par un moine devenu abbé dans le monachisme traditionnel : Robert de Molesme. Mais le personnage le plus marquant de l'histoire cistercienne du XII ème siècle est sans nul doute Bernard de Clairvaux même si l'abbé Etienne Harding fut l'organisateur de l'ordre de 1109 à 1133 ; Saint Bernard fut le défenseur le plus ardent de Cîteaux et son maître spirituel le plus éminent à partir de 1112. Il fallait rétablir et pratiquer l'ascèse stricte de la Règle Cassinienne. En effet, la création de cet ordre eu pour conséquence un important succès surtout dans les années 1130 et 1140 ; au début du XIII ème siècle, il comprenait environ 500 abbayes.
Nous allons donc étudier un débat entre un cistercien et un clunisien (provenant du Thesaurus novus anecdotum), ce texte a été rédigé vers 1160 par un anonyme mais nous pouvons cependant penser par ses propos que celui-ci était cistercien du fait de son parti pris évident dans tout l'extrait. Ce texte est polémique et comme nous l'avons déjà signalé, s'inscrit dans la lignée des critiques à l'égard de l'ordre clunisien. Nous pouvons remarquer que la forme du texte est très étudiée car les parties sont bien délimitées : la Règle de saint Benoît est abordée au début, la domination et les privilèges suivent et enfin la fin du débat est consacrée à la représentation et à la prétention de certains.
En effet, ce texte sous forme de débat entre deux personnes évoque la Règle de Saint Benoît, les privilèges dont certains ont pu profiter, il fait également part de la richesse ostentatoire des instituts clunisiens. Différents sujets y sont abordés et reflètent tous la joute intellectuelle que se sont livrés les clunisiens et les cisterciens.
A travers ces quelques éléments, nous pouvons nous demander en quoi réside l'opposition entre ces deux ordres et pourquoi est-ce le modèle cistercien qui l'emporte.
Pour répondre à ces interrogations, nous envisagerons deux parties : d'une part nous étudierons les interprétations de la Règle Cassinienne sous ses différents aspects et d'autre part, nous verrons le problème de l'obéissance et de la simplicité à travers des éléments appartenant plutôt au monde matériel.
[...] Cet état de fait favorisait l'ouverture sur le monde et participait parfois à ses entreprises. Nous pouvons donc dire que l'idéal clunisien était largement moins rude que ce qu'aurait souhaité saint Benoît et c'est pour cette raison que naquit Cîteaux ainsi que les nombreuses critiques semblables à celle que nous sommes en train d'étudier. Au XII ème siècle, différents groupes de bénédictins se démarquèrent comme Cîteaux, les chartreux ou d'autres encore. Mais c'est incontestablement Cîteaux qui eu le plus grand succès. [...]
[...] Durant le XII ème siècle Cîteaux rayonnait et s'impliquait dans les affaires ecclésiastiques en tant que chef de file du nouveau monachisme mais dès la fin du XII ème siècle les cisterciens perdirent de leur pouvoir et de leur influence. Cîteaux triompha réellement grâce à sa spiritualité et grâce à sa réussite matérielle tandis que Cluny garda un prestige reconnu dans toute l4europe mais à partir du milieu du XII ème siècle ne représentait plus le modèle qu'il avait prétendu être au XI ème siècle. [...]
[...] L'essor de la vie commune que nous avons expliquée ne va pas sans obéissance à Dieu par l'intermédiaire de l'abbé. L'obéissance est donc fondamentale comme le souligne le clunisien c'est l'obéissance totale qui fait le vrai moine [ ] mais non l'obéissance aux prélats ».Cette affirmation signifie que les hommes peuvent faillir malgré le fait qu'à Cluny la hiérarchisation des hommes reste prédominante. En outre cette critique du cistercien vient d'une originalité des établissements clunisiens qui pour la majorité n'avaient pas à leur tête un abbé élu comme les cisterciens mais avaient pour chef (caput) réel l'abbé de Cluny lui-même. [...]
[...] Il est vrai qu'à cette époque les tendances réformatrices allaient plus dans le sens de l'érémitisme. Donc la spiritualité cistercienne voulait répondre aux aspirations spirituelles du moment en tentant la restauration complète du cénobitisme (de koinos ; commun et bios ; vie en latin, le cénobite était alors un moine vivant en communauté sous la direction d'un supérieur et selon une règle. Celui-ci s'oppose à l'anachorète).Pour Bernard de Clairvaux et ses disciples, le pouvoir et l'influence excessive de Cluny avait détourné la Règle initiale qui voulait inviter le moine bénédictin à mettre tout en œuvre pour affirmer ses qualités de pondération, de sagesse, d'esprit pratique dans sa vie quotidienne pour en quelque sorte imiter le Christ pour accomplir son salut. [...]
[...] Nous nous consacrons au travail de la terre parce que c'est Dieu qui l'a institué, et nous peinons en commun, côte à côte, nous et nos frères (ligne quatorze).Pour les cisterciens travail et par extension vie dans le monastère ne va pas sans vie en commun comme le rappelle le terme de cénobite La conception de l'Ecclésia (l'assemblée d'égal à égal) est maintenue, respectée et essentielle dans la vie des moines blancs. La preuve en est que le silence était entrecoupé par la récitation de prières, afin de rappeler à chacun qu'il n'était moine que par son appartenance à la communauté. [...]
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