A partir de 1050, une très profonde mutation de l'Église d'Occident s'opère, qu'on a coutume d'appeler « réforme grégorienne », du nom du pape Grégoire VII (1073-1085) qui la symbolise particulièrement. Ce cours se concentre sur un aspect essentiel de cette mutation : la lutte entre les papes et les empereurs, c'est à dire les deux pouvoirs universels hérités de l'Antiquité chrétienne tardive ; il ne peut éviter la question des rois (qui n'ont pas vocation universelle) et de leur interférence dans ce conflit, pour deux raisons : les papes ont souvent expérimenté avec eux des solutions qui se sont ensuite imposées, moyennant quelques changements, pour résoudre la querelle avec l'Empire ; les rois et les pouvoirs princiers ont parfois constitué une arme aux mains des papes pour affaiblir leur ennemi impérial.
[...] C'est peut-être d'ailleurs ce qui les rend plus indifférents aux églises séculières et à leurs desservants, qu'ils ne fréquentent guère, préférant leur chapelle privée ou le sanctuaire familial, faisant la tournée des hauts lieux du culte des reliques, le plus souvent des monastères, qui se trouvent sur leur trajet. Ils ne peuvent pour autant tolérer qu'un évêque bon administrateur, mais absolument indigne désserve une cathédrale, toujours située au coeur d'une importante cité : l'opinion publique existe au Moyen Âge, les Princes doivent en tenir compte. (c'est ce qu'a fait Henri III en 1046 en déposant des papes indignes pour en nommer un nouveau). [...]
[...] Que signifie exactement le mot investiture ? Par cet acte, on désigne un double rôle du Prince : son intervention dans le choix du titulaire du siège (même si en théorie l'élection par le clergé et le peuple demeure la règle canonique), droit tacitement reconnu par l'Église ; l'investiture proprement dite, qui consiste en la remise au titulaire des insignes de sa charge (crosse et anneau pour l'évêque, symboles de la dignité pastorale), remise accompagnée de la formule : Accipe ecclesiam Reçois l'église [que je te confie]) ; et bien sûr en la remise des pouvoirs et des droits inhérents à cette charge, c'est-à-dire l'episcopatus, impliquant en retour une fonction publique de l'évêque au service du Prince. [...]
[...] En 1074 Grégoire VII envisage de conduire lui-même des troupes à l'aide des chrétiens d'Orient que menacent les Turcs, ce qui aurait avec vingt ans d'avance constitué la première croisade orientale. À défaut il assimile les auteurs de la Reconquête espagnole contre l'Islam aux futurs croisés, en expliquant que leur engagement militaire au service de Dieu les dispense de toute pénitence pour leurs fautes ; mieux, que leurs péchés eux-mêmes sont absous, ce qui est une innovation théologique que seule explique la plenitudo potestatis Du concept de guerre juste en réponse à des agresseurs, on est passé à celui de guerre sainte compris contre des chrétiens rebelles au pape). [...]
[...] Évitez de vous attribuer aucun des droits de la sainte Église romaine ou de fomenter quoi que ce soit contre elle, car sans son infinie clémence, vous ne pourriez même pas, vous le savez bien, demeurer sur le siège où vous êtes Une telle affirmation s'appuie certes en partie sur la tradition : le pape est bien le juge de dernière instance, dont la sentence est irréformable, et Siegfried ne conteste pas ce point ; mais elle comporte aussi une innovation, comme souvent chez les Grégoriens qui prétendent toujours en revenir à la tradition, mais en réalité la bousculent, voire révolutionnent l'Église : c'est l'allégation selon laquelle l'archevêque ne demeure sur son siège qu'autant que le pape y consent (sous-entendu : il peut le déposer quand il le veut). Bref, au-delà du principe admis par tous de la nécessaire communion entre Rome et les églises locales, Grégoire VII affirme que Rome est mère de toutes les églises que lui-même est évêque des évêques et revendique donc une autorité pleine et entière, directe, sur tout clerc où qu'il soit. [...]
[...] Cette exacerbation des luttes pousse en outre, on l'a vu, à un approfondissement des élaborations théoriques grégoriennes, au plan juridique avec la notion de primauté du Saint-Siège, au plan théologique avec celle de plenitudo potestatis les deux s'épaulant pour déboucher sur un droit supérieur d'intervention en matière temporelle de la part des papes. Est-ce à dire que la théorie et la pratique grégorienne se soient imposées d'emblée, face à des Princes et des prélats indignes et déconsidérés ? C'est l'image qu'autrefois l'un des grands historiens de la Réforme, A. Fliche, tendait à accréditer. [...]
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