La mort de Louis le Pieux intervient le 20 juin 840 et signifie l'échec définitif de l'unité territoriale carolingienne, car on voit immédiatement les fils du défunt empereur se déchirer autour de l'héritage ; mais de même qu'on s'accorde à parler de legs culturel, religieux, voire économique de la période carolingienne, ce fractionnement territorial ne veut pas dire qu'il n'y ait pas d'héritage politique carolingien. Cet héritage politique se repère à deux niveaux au moins :
- une fois les territoires partagés, les frères établissent un régime dit de « confraternité », c'est-à-dire de coopération autour de quelques grands problèmes qui se posent à eux de façon à peu près similaire : les rapports avec l'Aristocratie d'Empire, qui se caractérise par une culture homogène donc un type semblable de revendications vis-à-vis du roi ; la question des attaques étrangères, musulmans au sud, Magyars (c'est-à-dire Hongrois) à l'est, Vikings au nord.
- les grands prélats d'Eglise continuent et même dans certains cas accentuent leur rôle de conseillers politico-religieux des Princes, après avoir initialement critiqué la rupture : ils s'adaptent à la nouvelle situation et comptent pour beaucoup dans le maintien des royaumes carolingiens, exaltant la légitimité des descendants de Charlemagne. Il convient donc de se méfier particulièrement d'une lecture « nationaliste », chère aux historiens du XIXe siècle qui préparaient la guerre de 1914-1918, des évènements intervenus au IXe siècle : en aucun cas la création par le partage de Verdun en 843 d'une Francie orientale et d'une Francie occidentale ne se fait sur des bases « nationales » ; il s'agit comme l'indique leur nom de deux entités franques, c'est à dire dominées par le même peuple, descendant légitimement du même ancêtre ; cela explique la recherche de modalités de coopération, puisqu'il ne faut jamais oublier que la coutume franque consistait bien à partager le territoire entre héritiers. On notera d'ailleurs qu'il existe non pas deux mais trois Francies, les deux citées étant séparées par une Francia media (« Francie moyenne », c'est à dire ici « au milieu »), dont le hasard des successions fera une proie facile pour les deux frères de l'est et de l'ouest, et par voie de conséquence une pomme de discorde. Même si l'usage, au niveau quotidien, de deux langues différentes (le futur « français » et le futur « allemand ») préfigure la « naissance de deux peuples », pour reprendre l'expression d'un historien autrichien, cette dernière ne se fera que très progressivement au cours du Moyen Âge: la légitimité carolingienne et donc le sentiment unitaire ont encore de beaux restes devant eux ; les signes de déclin et de mutation apparaissent précisément lorsqu'à la fin du IXe siècle, de premiers ensembles territoriaux non-carolingiens émergent, toujours sous la houlette il est vrai de membres de l'aristocratie d'Empire, souvent apparentés eux-mêmes aux Carolingiens.
[...] Le problème principal que pose ce traité, en l'absence de tout texte officiel, c'est bien sûr son interprétation. On constate que chaque frère récupère une part du noyau franc originel (Neustrie, Austrasie, Burgondie) auquel on a ajouté un royaume périphérique datant d'une phase ultérieure de l'expansion. Certains (on pense ici au grand spécialiste de géographie historique R. Dion) ont souligné la prédominance d'arguments de type géographique dans le dessin des royaumes : chaque frère aurait hérité d'abord d'une zone plutôt favorable à la culture des céréales, mais aussi d'une zone plus herbagère (songer à l'importance, notamment militaire, du cheval dans le monde carolingien), enfin d'un débouché maritime (ce serait particulièrement net pour la Frise donnée à Lothaire) ; si cette interprétation comporte une part de vérité, on doit ajouter que ces principes de partition ont pu nourrir une conséquence : favoriser au sein de la construction carolingienne l'émergence de peuples et de langues (d'où la moindre viabilité et à terme la disparition de la Francia media). [...]
[...] On parvient finalement à un accord en 880, où chacun conserve un royaume. Mais les échecs militaires des Carolingiens de l'ouest et de l'est, alliés pour la circonstance, contre l'« usurpateur Boson, puis la reprise au début des années 880 des attaques Vikings depuis leurs bases anglaises, mosanes et rhénanes, marquent le basculement définitif de l'ensemble carolingien : d'un assemblage de regna centraux et périphériques, régulièrement répartis entre héritiers de la dynastie, on passe à une mosaïque de grandes principautés où les Grands rivalisent avec la dynastie légitime pour exercer les prérogatives de l'État, à commencer par la défense, en leur propre nom. [...]
[...] Leur atout majeur est le bateau (nombreuses trouvailles archéol. de bateaux ennoyés dans les fjords), très simple, non ponté le plus souvent, à gouvernail latéral, à rames et voile, portant environ 50 hommes ; très rapides, ces bateaux permettent de débarquer et rembarquer très aisément si le danger l'exige ; ainsi que, au fur et à mesure, de s'enfoncer toujours plus vers l'intérieur des terres en remontant les fleuves : à terme il faut établir des camps et utiliser la cavalerie pour pénétrer et piller l'hinterland ; ces camps sont toujours établis sur un cours d'eau (Loire, Seine, Escaut, etc.), donnant accès à une riche région ; les défenses y sont minimes ; ils marquent en réalité le début de la sédentarisation des Vikings. [...]
[...] Le début d'équilibre ou du moins de moindres instabilités que le partage de Verdun et le régime de confraternité s'étaient efforcés d'imposer est remis en cause dès la mort de Lothaire Ier en 855 : les deux autres frères, Charles le Chauve et Louis le Germanique, se jettent sur l'héritage de leurs neveux. Mais des facteurs bien plus puissants encore jouent contre les Carolingiens : l'aristocratie, seule à même de faire face efficacement aux attaques des Vikings et des Sarrasins, s'attache désormais à démontrer que le pouvoir politique, et donc la légitimité, réside dans ses mains. [...]
[...] Fort de ces atouts, le chef de la famille, Bernard de Septimanie, marquis de Gothie, concurrence son souverain qui le fait exécuter en 844 pour rébellion ; Charles doit pourtant peu après se réconcilier avec une aussi puissante famille, s'il veut espérer conserver le contrôle de l'Aquitaine : il ajoute aux biens déjà considérables de la famille des honores nouveaux, dont le comté d'Auvergne, et Bernard dit Plantevelue, le fils de Bernard de Septimanie, pour qui sa mère Dhuoda a écrit le fameux manuel d'éducation princière déjà évoqué (cours 3 et devient en fait le fondateur de la Principauté aquitaine (sur le sens de ce mot principauté dans le contexte des IXe-Xe siècles, voir le cours et le fondateur de la lignée des ducs d'Aquitaine aux illustres descendants (par exemple le duc d'Aquitaine Guillaume Ier dit le Pieux fondateur de Cluny ; de façon générale, dans le cadre du resserrement lignager décelable au sein de la noblesse à compter de 850 environ, cf. cours le prénom Guillaume devient emblématique de la famille ducale d'Aquitaine). Au-delà du cas aquitain bien connu, Charles doit sans cesse négocier avec les Grands de son royaume. [...]
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