Concernant la notion d'outils, il s'agit de présenter les « matériaux bruts » dont se sert l'historien pour faire son métier, ce qu'on nomme aussi ses « sources » ; comme on se concentrera sur les sources textuelles, on doit d'emblée préciser que le qualificatif de « brut » est en soi éminemment contestable : autant on peut (à la rigueur) le justifier pour les sources archéologiques, dont il ne sera pas question ici, autant pour les textes on ne peut l'utiliser sans naïveté ; tout texte, comme on le verra plus loin, même le plus apparemment « objectif », factuel, concret, consiste en réalité dans un montage sélectif d'informations, montage dont il appartient à l'historien de restituer l'économie.
Pour ce qui est de la notion de « méthodes », sa signification est moins obvie, davantage sujette à l'interprétation et à la variation d'un historien à l'autre ; au moins deux approches sont possibles. Au sens étroit du terme, le mot « méthode » peut désigner les connaissances techniques indispensables à la mise en œuvre de telle ou telle catégorie de sources historiques. Par exemple, on distinguera les méthodes propres à l'épigraphie, c'est-à-dire à la gravure (et à la lecture et l'utilisation par l'historien) des inscriptions sur pierre ; ou encore celles propres à la numismatique, c'est-à-dire à l'utilisation comme source historique des monnaies (en général de métal, plus rarement d'autres matériaux). Il se trouve que ces deux méthodes ont d'abord été élaborées par les Antiquisants, où ce type de sources est absolument fondamental et relativement abondant.
Pour dire vite, on s'aperçoit que le haut Moyen Âge a connu une baisse quantitative et qualitative des inscriptions épigraphiques, signe d'un emploi beaucoup moins fréquent de l'écrit et d'un recul de l'alphabétisation, couplés à un déclin de la notion de l'Etat restreignant l'usage public de la communication écrite. L'histoire de la monnaie confirme ce dernier point : la disparition vers 650 de toute monnaie d'or en Occident, la mise en place à partir des Carolingiens d'un étalon argent fondé sur le denier, plus généralement le caractère restreint de l'économie monétaire et du commerce jusqu'au Xe siècle au moins, avant la révolution commerciale occidentale vers 1150, signent tout à la fois le déclin de l'Etat et l'entrée dans un type d'organisation économique profondément différent de celui qui prévalait sous l'Empire romain.
[...] Au mouvement du XIXe et du premier XXe siècle, qui avait transformé en document positif l'ancien monument de la culture nationale Le Goff substitue un mouvement inverse : d'emblée la méfiance est nécessaire vis-à-vis de tout document, même en apparence le plus objective, y compris vis-à-vis des séries de documents constituées par la première révolution documentaire, car les archives d'un manoir anglais, par exemple, qui rendent possible à partir du XIVe siècle la constitution de séries de prix (du grain, du travail ) et de chiffres (des rendements, de la profitabilité et ouvrent ainsi à une ère statistique de l'économie, ne sont pas dues au hasard documentaire : les chiffres qu'elles contiennent et que l'historien manipule sont aussi sujets à caution que ceux que les économistes actuels se jettent à la tête. Le chemin intellectuel critique qui conduit à cette monumentalisation à l'envers du document peut être ainsi jalonné: - P. [...]
[...] Rituels, ou volonté politique de montrer du consensus là où en réalité il y a de la lutte et des conflits sociaux ? La fin, décrétée récemment par certains idéologues, de la lutte des classes, leur volonté en retour d'instaurer des rapports sociétaux régulés de manière infraétatique quasi-« naturelle comme matrice et mode de fonctionnement véritable de rapports sociaux apaisés, n'est donc peut-être pas sans relation avec cette efflorescence des rituels en histoire médiévale, peu à peu devenus l'alpha et l'oméga de l'histoire sociale, au détriment de la recherche sur les facteurs matériels et idéels des conflits. [...]
[...] Ces conceptions qualitatives nouvelles en matière de sources a même permis de relancer récemment des champs traditionnellement délaissés, car marqués du sceau positiviste de l'histoire : en étudiant les acteurs concrets des relations entre États, leur formation et leurs méthodes d'action, ou encore les hommes qui composaient les armées, leurs relations avec le reste de la société, etc., l'histoire diplomatique et l'histoire militaire se sont profondément renouvelées. La révolution documentaire est passée aussi par des mutations quantitatives, largement favorisée, mais non conditionnée, par l'avènement de l'informatique. [...]
[...] Ces considérations expliquent qu'au XXe siècle, un débat de grande portée méthodologique et historiographique (adjectif qui signifie en gros : comment et pour qui on écrit l'histoire) se soit engagé à propos des sources. Il a été largement et magistralement impulsé par l'École historique dite des Annales (du nom de la revue fondée par ses animateurs) et poursuivi par Jacques Le Goff, sur qui je m'appuie principalement ici Monuments et documents : deux statuts complémentaires des sources historiques J. Le Goff part du constat que ce qui survit du passé, sous la forme de sources textuelles, architecturales ou archéologiques, etc., n'est jamais la somme de ce qui a existé dans ce passé, mais le résultat d'un choix opéré dans ce legs, par les forces sociales et politiques au cours du temps d'une part, par ceux-là mêmes dont c'est la fonction professionnelle d'étudier le passé, les historiens, d'autre part. [...]
[...] Cet outil a permis de constituer des séries (on parle d'histoire sérielle) et de construire non plus seulement des complexes de faits, mais des données historiques, des complexes de sources ; cela vaut aussi bien pour l'économie, où ce type de démarche paraît naturel, que pour la culture. On a parfois estimé que cette nouvelle histoire correspondait à un nouvel âge, celui d'une ère statistique opposée à une ère préstatistique où les données chiffrées étaient rares ou inexistantes : à ce titre, le haut Moyen Âge paraîtrait hors d'atteinte des objectifs de ce renouvellement. [...]
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