"En 1092, arriva en France un événement scandaleux qui jeta le trouble dans le royaume. Le Roi…consentit au crime et reçut Bertrade avec empressement" raconte le chroniqueur Orderic Vital (1075-1142) dans ses "Histoires ecclésiastiques". Dans un contexte de réforme grégorienne c'est-à-dire de restauration des valeurs morales de l'Eglise et de ses institutions, cette aventure hors mariage du Roi de France va très mal se dérouler et considérablement noircir sa fin de règne. Lorsqu'en 1060, son père Henri Ier (1031-1060) décède, Philippe Ier (1052-1108) alors âgé de 7 ans lui succède. Mais jusqu'en 1067 où il est adoubé chevalier et donc considéré comme apte à régner, c'est son beau-frère Baudouin qui assure la régence. Son début du règne est auréolé de succès, il agrandit le domaine royal avec l'annexion de Corbie en 1071et du Vexin Français en 1075-1077 notamment. L'influence du pouvoir royal s'accroît, la conjoncture économique est favorable mais un élément va sérieusement assombrir ce tableau, son mariage "illégitime" avec Bertrade de Monfort. Philippe Ier avait en effet épousé Berthe de Hollande (1055-1094) en 1072, elle lui avait donné quatre enfants dont Louis et une fille Constance. Mais il décide de la répudier en 1092, après 20 ans de mariage sous prétexte de proche parenté. Il venait en effet de rencontrer Bertrade de Montfort (1070-1117), en 1092, à Tours. Mais cette dernière était l'épouse du comte d'Anjou, Foulques le Réchin. Il choisit malgré tout de l'enlever et de célébrer un nouveau mariage avec elle, c'est à cette période qu'est écrite la première lettre que nous avons à l'étude par l'évêque de Chartres, Yves. Yves de Chartres (1040-1116) est né aux environs de Beauvais, il fit de solides études à Paris puis dans l'abbaye bénédictine de Bec, en Normandie. Il fut chanoine à Nesles en Picardie puis Guy de Beauvais l'appela en 1078 pour le faire abbé d'un monastère de chanoines réguliers qui venait d'être construit en l'honneur de St Quentin. Il fut ensuite choisi comme évêque de Chartres. Il fut reconnu de son temps comme l'un des plus grands spécialistes du droit canonique, ses écrits serviront d'ailleurs de matériaux pour les conciles réformateurs d'Urbain II. Il incarne plus que nul autre ce nouveau rigorisme de l'Eglise au sujet des institutions sacrées tel que le mariage. Les laïcs et les plus puissants doivent se soumettre à l'autorité de l'Eglise, accepter qu'elle contrôle leurs mœurs. Tous les problèmes matrimoniaux doivent être soumis à l'Eglise et résolus par elle seule, c'est l'enjeu de ces deux lettres. La première que nous avons à l'étude datée de 1092 est adressée au roi avant son mariage, Yves de Chartes lui expose les raisons pour lesquelles il décline son invitation à venir le rejoindre pour célébrer son mariage. La seconde, deux ans plus tard possède le même objectif, à savoir le rejet d'une convocation du Roi pour l'accompagner au plaid entre ce dernier, le Roi d'Angleterre et le Comte de Normandie. Nous nous interrogerons donc pourquoi Yves de Chartres refuse à plusieurs reprises de respecter les convocations royales, de quelle manière justifie t-il ces absences et enfin comment échappe-il au pouvoir temporel du roi ? Dans un premier temps nous analyserons le refus d'un acte considéré comme "illégitime" par Yves de Chartres, la controverse canonique que cela représente et la crise de "conscience" qu'elle déclenche chez ce dernier. Ensuite, nous étudierons la mise en garde que dresse Yves de Chartres contre "un suprême danger", nous reviendrons sur les arguments invoqués à savoir la perte du "royaume éternel" et les risques engendrés pour la "couronne". Enfin, nous réfléchirons sur la résistance au pouvoir temporel que représente l'attitude d'Yves de Chartres, nous verrons que cette réticence s'insère malgré tout dans un processus de fidélité et surtout dans un contexte d'expansion grégorienne.
[...] Yves de Chartes renvoi donc à la Genèse et au péché originel. C'est en effet Eve qui tenté par le serpent, succombe et croque dans le fruit défendu : "la femme vit que l'arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec clairvoyance. Elle en prit un fruit dont elle mangea, elle en donna aussi à son mari qui était avec elle et il en mangea". La résultante de cette action est décrite par l'évêque de Chartres à la ligne 20 du texte 1 : "ainsi tous deux furent expulsés du paradis" et dans la bible elle- même : "Le Seigneur Dieu l'expulsa du jardin d'Eden pour cultiver le sol d'où il avait été pris". [...]
[...] Pour d'autres comme Orderic Vital, c'est Bertrade qui aurait fait des avances à Philippe. Il est donc difficile de trancher. Guillaume de Malmesbury indique quand a lui que "Philippe a agi moins par passion pour Bertrade que par dégoût de Berthe, qu'il trouvait trop grosse". Yves de Chartres a en tout cas la pudeur de ne pas évoquer la tentation charnelle que peut représenter Bertrade. Duby énonce quand à lui d'autres raisons pour justifier ce mariage qu'il qualifie de "bon choix". [...]
[...] On y lit notamment : " que ceux du dehors doivent lui rendent un beau témoignage, afin qu'il ne tombe pas dans l'opprobre en même temps que dans les filets du diable". "Ceux du dehors" que reprend Yves de Chartre dans sa lettre à la ligne 13 du texte il s'agit des laïcs, il montre que devant eux, il doit "une réputation sans taches". Mais il sous entend aussi sans doute, la responsabilité qu'ont les laïcs par rapport à lui, et surtout le roi qui les gouverne. Il rappelle aussi le respect qu'on lui doit en tant que "prêtre du Christ" toujours à la ligne 13 du texte 1. [...]
[...] Yves de Chartres n'en reste pas là et s'empare alors pleinement du problème, il en fait une crise de "conscience" comme nous allons le voir dans une seconde sous partie. Une crise de "conscience" "Or à cause de ma conscience, que je dois préserver devant Dieu et à cause de ma réputation que le prêtre du Christ doit avoir sans taches" (ligne 12 et 13 du texte Yves de Chartres refuse de répondre favorablement à la demande de Philippe Ier. [...]
[...] Le refus d'un acte illégitime Une controverse "canonique" "Je ne veux ni ne puis assister à cette solennité nuptiale à laquelle vous me convoquez, si je n'ai d'abord connaissance qu'en vertu d'une décision d'un concile général, un légitime divorce est intervenu entre vous et votre épouse et que vous pourrez contracter un mariage légitime avec celle que vous voulez épouser " pouvons-nous lire aux lignes 4 à 7 de la première lettre. L'enjeu est donc donné par Yves de Chartres dès les premières lignes, il s'agit de savoir si le nouveau mariage contracté par Philippe Ier est légitime. Cette phrase mérite une explication des faits antérieurs. [...]
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