« Si la littérature peut être, non sans quelque rhétorique, définie comme un miroir de la société, il s'agit, bien sûr d'un miroir plus ou moins déformant selon les désirs conscients ou inconscients de l'âme collective qui s'y regarde et surtout selon les intérêts, les préjugés, les névroses des groupes sociaux qui fabriquent ces miroirs et les tendent à la société ». C'est en ces termes que l'historien Jacques Le Goff, dans son Pour un autre Moyen Age, pose le problème du rapport de la littérature avec la société médiévale, problème qui se pose avec acuité lorsque l'on étudie le Roman de Renart.
En dépit de son titre, le Roman de Renart, n'est pas un roman mais une collection de récits
appelés « branches », écrits entre 1175 et 1250 par plus de vingt auteurs, le plus souvent anonymes, de personnalités, de formations, de goûts et de talents différents. En fait, le titre de l'œuvre fait plutôt référence à la langue dans laquelle elle a été écrite : la langue romane, qui montre la volonté des auteurs d'écrire pour la foule. En ce qui concerne les sources du Roman de Renart, elles ont longtemps posé problème aux historiens, mais il semble admis aujourd'hui que les différents auteurs ce soient inspirés dans une « collaboration féconde de l'imagination antique et de l'esprit médiéval » de fables ésopiques et d'œuvres latines. Cependant, le Roman de Renart n'est pas une composition suivie et homogène. La partie la plus ancienne est la branche traditionnellement désignée comme la branche II, composée vers 1175 par le poète Pierre de Saint-Cloud. A cette branche, on a ajouté, à partir de la fin du XIIème siècle, toute une suite de branches : Va, III, IV, XIV, V, XV, I, IX, VI, XII, Ia, Ib, VII, XI, X, XVI, XVII, XIII, XXIII, XXIV, XXV, XXVI, XXI, XVIII, XIX et XX. Chaque branche met en scène des animaux incarnant différents types humains. Dès lors, la multiplicité des interprétations possibles de chacun des animaux crée un univers complexe et riche : ainsi, le personnage principal de l'œuvre, Renart, est tour à tour un seigneur, un clerc, un jongleur ou même une personnification de la ruse et de la méchanceté. Le passage constant du monde animal au monde féodal et du mélange des deux fait du Roman de Renart une œuvre comique mais également satirique. En effet, derrière le comique, il convient de déceler une parodie de la littérature épique et chevaleresque mais aussi une satire de la société médiévale.
[...] En effet, au-delà du ridicule de Liétard qui se craint sa femme et devient l'homme de Renart, l'auteur manifeste ses préjugés à l'égard des vilains qui s'enrichissent avec l'essor que connaît le monde rural aux XIIème et XIIIème siècle. Plus largement l'auteur témoigne son attachement à des valeurs traditionnelles et refuse l'évolution que connaît la société médiévale à cette époque. Il érige notamment la vie contemplative en modèle et s'oppose fermement à la promotion par le travail qui devient une des grandes valeurs du monde féodal mais qui remet en cause la structure de la société, l'ordre voulu par Dieu. [...]
[...] A l'instar de l'extension des vieux terroirs, ce deuxième type de défrichements laisse peu de traces. Cette nouvelle forme de conquête agricole est plus tardive que la précédente mais elle tend à se répandre à la fin du XIIème siècle pour deux raisons. La première c'est que les progrès de l'équipement paysan permettent désormais aux agriculteurs de se dégager plus aisément des solidarités collectives et de se passer de l'entraide villageoise, de s'aventurer seul et de fonder une exploitation moins dépendantes des contraintes de voisinage : c'est les premiers balbutiements de l'individualisme agraire. [...]
[...] Mais Liétard est d'autant plus coupable aux yeux de l'évêque de la Croix-en-Brie que ses mœurs sont incompatibles avec la morale chrétienne. Des mœurs incompatibles avec la morale chrétienne Une ardeur insensée au travail qui va à l'encontre d'une vie contemplative et remet en cause le monopole de l'Eglise sur le temps Liétard se distingue par son ardeur au travail puisqu'il nous est, en effet, présenté un jour de bon matin (l. 10) dans son nouvel essart (l. 8). Il semble ne connaître ni loisirs ni fêtes comme les montre tout d'abord les lignes 15 à 20 : Mais ni le repos ni le délassement ne conviennent ni ne plaisent au paysan, qui ne se soucie pas de rester au lit dès qu'il eut voir le jour ; le paysan ne sait pas prendre du bon temps L'attitude de l'évêque de la Croix-en-Brie à l'égard du travail relève de l'idéal d'une vie contemplative qui compte avant tout sur Dieu pour satisfaire ses besoins matériels et qui considère le travail manuel comme une souillure de l'âme. [...]
[...] 84-85) Pour se faire pardonner d'avoir trompé Renart, Liétard se propose d'être : votre serf et votre vassal (l. 85). A première vue, serf et vassal semblent être deux termes antinomiques et pourtant dans l'esprit des contemporains la forme de dépendance personnelle très stricte induite par le servage se rapproche du lien vassalique du fait de sa puissance, de son caractère infrangible et héréditaire. Ainsi notre vilain se place volontairement sous la dépendance de Renart comme sous celle d'un seigneur : et désormais je dépendrai de vous comme de mon seigneur (l. [...]
[...] De ce fait Liétard fait partie des paysans que Georges Duby appelle conquérants parce qu'ils participent pleinement au renforcement de l'effort agricole. De plus, l'essart de Liétard se situe à proximité d'un grand bois (l. ce qui sous-entend que sa tenure a été défrichée depuis peu comme le montre la ligne 8 : nouvel essart Un paysan laboureur La diffusion de la charrue L'essor du monde rural des XIIème et XIIIème siècle a vu l'amélioration des instruments de labour et en particulier de la charrue, arme principale du laboureur Même si la charrue ne remplace pas complètement l'araire, sa diffusion a beaucoup d'influence sur la culture et ses rendements. [...]
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