Afin d'étudier précisément les réactions qu'ont suscitées les deux lois portant sur le statut des Juifs des 3 octobre 1940 et 2 juin 1941, ainsi que les déportations qui suivirent, et de façon plus générale, la politique antijuive de Vichy et des Allemands, il semble nécessaire de dresser un tableau du Juif tel qu'il est perçu dans l'imaginaire collectif dès les années 30. Il existe en fait ce que l'on peut appeler cinq « traditions judéophobes », soit cinq figures du Juifs tel qu'on se le représente à cette époque.
La première figure est celle du Juif en tant qu'être affligé d'une rigidité d'esprit qui le voue au particularisme, à l'exclusivisme. Il est perçu comme un être sectaire et fanatique, inapte au progrès, survivance d'un passé dépeuplé.
La deuxième figure est celle du Juif en tant que non-chrétien, voire antichrétien, issu du peuple qui a assassiné le Christ, suppôt de la modernité satanique, propagateur d'idées destructrices des traditions et des institutions chrétiennes.
La troisième figure est celle du Juif en tant qu'exploiteur, incarnation de l'esprit capitaliste et des puissances financières, stigmatisé en opposition au peuple simple, aux « petits ». Le Juif riche incarne le non-peuple, l'antipeuple.
La quatrième figure est celle qui présente la race juive comme une race immuable et inassimilable, stigmatisée comme inférieure, ennemie ou corruptrice. Cette racialisation s'opère en fonction de critères physiologiques et anthropométriques, et fait du Juif le « parasite » que l'on a évoqué précédemment.
La cinquième figure enfin présente le Juif en tant qu'étranger par excellence : il est un sans-patrie, un cosmopolite, un internationaliste, un déraciné, qui n'a de seule patrie que celle de ses intérêts. Il en découle le mythe de la colonisation de l'Etat par les Juifs, comme immense complot d'une race dominatrice par nature.
Face à la situation inédite d'antisémitisme institutionnel, prôné comme valeur par le gouvernement, l'opinion s'est-elle opposée à ces figures classiques, ou les a-t-elle reprises à son compte ?
Nous verrons tout d'abord ce qu'il en est chez les leaders d'opinion, au sein même de l'Etat, chez ce qu'on appellera les « soldats de plume » et également dans l'Eglise. Ensuite, nous essayerons de voir, sous cette influence, quelles furent les réactions de l'opinion populaire à la politique antijuive de Vichy...
[...] Ce ne serait qu'un geste puéril. Mais j'ai un porte-plume On ne peut pas dire que tous les intellectuels se soient unanimement ralliés aux doctrines antisémites, cependant, du fait de la censure et de l'émigration, le point de vue qui était en mesure d'influencer l'opinion était celui des antisémites. a. qui sont-ils ? Pierre Taguieff relève trois logiques différentes dans la tradition du discours antijuif : l'antisémitisme d'expression identitaire, l'antisémitisme d'attitude ou de comportement légaliste, et l'antisémitisme de conviction des activistes. [...]
[...] C'est la répétition, plutôt que l'invention dans l'accomodation aux situations nouvelles, qui domine. On ne relève pas de rupture significative, en 1940, dans les formes ni dans les contenus de ce discours antijuif. L'évènement est interprété sur le mode de la reconnaissance, comme s'il ne faisait que réaliser une prophétie. Ce phénomène d' autisme réthorique comme le définit Taguieff, mérite de retenir l'attention, qu'il soit attribué à la force des clichés et des stéréotypes, à la résistance des préjugés, à la stabilité des représentations sociales, ou à la lenteur d'évolution des mentalités. [...]
[...] D'autre part, les Juifs restèrent assez visibles pendant la période de la guerre et continuèrent à paraître en public, ce qui contribua à faire apparaître le programme de Vichy comme limité. De ce fait, il ne suscita pas d'émotion, du moins dans la plus grande partie de la population. Il causait des dommages réels, mais était assez restreint pour ne pas alerter, jusqu'au milieu de l'année 1942, la plupart des gens. Même lorsque le pire se produisait et que la police emmenait quelqu'un, la rumeur encourageait l'hypothèse que ces Juifs-là avaient commis quelque acte répréhensible. [...]
[...] la protestation populaire On ne peut pas nier le retentissement profond de ces évènements sur l'opinion dans la zone occupée. Tous les rapports des préfets mentionnèrent les Juifs pendant l'été de 1942, contrairement au manque d'intérêt relatif qui avait précédé, et qui suivit. Vingt-quatre préfets de la zone sud déclarèrent sans ambiguïté que l'opinion publique était, dans son écrasante majorité, bouleversée et indignée par les déportations dans la zone non occupée. Non que tous les préfets aient été d'accord avec leurs administrés : ils emploient le mot sentimental avec unanimité pour décrire ces réactions, s'étonnant qu'une transformation aussi soudaine ait pu se produire dans une population qui, quelques jours auparavant, se plaignait du trop grand nombre de Juifs, et que les gens aient si peu de raison d'Etat. [...]
[...] Puis, pendant les quatorze mois qui séparent le second statut des premières rafles précédent les déportations massives dans la zon sud, en août et septembre 1942, trente des quarante-deux préfets font presqu'unanimement des commentaires sur l'afflux des réfugiés juifs supplémentaires venus de la zonne occuppée, et sur l'hostilité prononcée que suscitent les nouveaux venus. Tous les réfugiés attiraient l'attention en tant qu'étrangers, même s'ils étaient des Français de la zone nord qui avaient échoué dans la zone non occupée, loin de chez eux. Mais une méfiance et une hostilité particulières visaient les Juifs en tant que tels. C'est contre les Juifs étrangers récemment naturalisés que se manifestait le plus d'animosité. L'hostilité, qui s'étendait aux Juifs français, s'accompagnait parfois de violences physiques. [...]
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