Annette Wieviorka et Sylvie Lindeperg se sont attachées à l'étude des images données à voir à la sorties des camps, à la fois dans les actualités et le cinéma, ainsi qu'à l'évolution de ces représentations. Stéréotypes et censure se disputent à la vérité historique. Ce qui rend l'exercice de transmission d'autant plus difficile, que l'histoire apparaît comme un grand miroir truqué.
Ainsi, les images des camps nous sont parvenues tardivement, quinze jours après la Libération : ce furent celles de Bergen Belsen. Les historiennes notent là un paradoxe. Selon elles, le camp de Bergen Belsen était assez peu emblématique dans la mesure où ce n'était pas un camp d'extermination, mais un camp de travail. De sorte que ces images atypiques vont devenir typiques, c'est-à-dire qu'elles vont figurer la réalité des camps de concentration pour la majorité...
[...] L'objectif se résume ainsi : voir, c'est croire Il fallait montrer pour démontrer, mais aussi démonter toute réfutation possible de l'horreur nazie. Ces images étaient destinées, selon leur auteur, aux allemands qui seraient susceptibles de nier les faits. Peter Tanner, le monteur du documentaire, souligne l'apport du cinéaste Alfred Hitchcock dans le souci de rendre le film convaincant et indiscutable. Les plans devaient être aussi longs que possible pour que le film ne donne pas l'impression d'être truqué. D'où l'utilisation de plans séquences et de panoramiques, procédés de filmage qui ne recourent pas au montage et évitent que l'on fasse au film le procès d'une manipulation de l'image. [...]
[...] La mise en scène de la libération des camps s'accompagne de stéréotypes. Le plus prégnant est celui du déporté résistant qui a combattu l'Allemagne. Dans les actualités filmées et la presse écrite, le mot juif n'est jamais prononcé. Sont relégués, évacués des représentations et des discours, les déportés n'appartenant pas à ce que les historiennes appellent la grande famille ou la catégorie des absents c'est-à-dire les déportés résistants ou les déportés politiques. Il s'agit de propagande de la Résistance. Le retour de cette autre catégorie de déportés n'est pas scénographié dans les actualités filmées de Vichy, contrairement à celle de l'absent qui est attendu (le lit est fait, les vêtements soigneusement disposés). [...]
[...] Tout repose donc sur le recueil de témoignages. Les universitaires ont alors établi un parallèle historique intéressant entre les films de Resnais (basé sur des archives) et de Lanzmann (fondé sur la collecte de témoignages) et les procès de documents comme celui de Nüremberg et le procès de témoins comme le procès Eichmann en 1961, qui donna la parole aux survivants et inaugura l'ère du témoin. Dans cette mesure, Shoah constitue un double événement, à la fois historique et cinématographique. [...]
[...] Les débats ont été l'occasion d'avancer sur l'enseignement du devoir de mémoire à travers l'image, de mettre en lumière les enjeux majeurs inféodés à cette notion : quelle est la légitimité du pédagogue dans cette éducation ? A quelle place doit-il se tenir ? Quels films montrer aux jeunes spectateurs et surtout comment les accompagner? Quelle est la valeur du témoignage dans cette démarche de transmission ? De quelles images parlons-nous ? Autant de questions auxquelles tente de répondre cette courte synthèse, agrémentée de réflexions plus personnelles. La médiatisation de la libération des camps : censure et stéréotypes. [...]
[...] Annette Wieviorka est historienne, directrice de Recherche au CNRS. Sylvie Lindeperg est historienne, spécialiste de l'audiovisuel et maître de conférence à Paris III. Alain Prost est professeur émérite d'histoire contemporaine à l'Université Paris I. [...]
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