Cet ouvrage prend pour point de départ le cas d'un infanticide commis par une femme au nom de son idée de la nation et de sa haine de l'envahisseur. Ce cas s'efface ensuite au profit des débats, des angoisses et des fantasmes suscités en France par les viols des débuts de la guerre.
L'analyse se situe au carrefour d'une histoire de la violence de guerre et d'une histoire des corps masculins et féminins dans la guerre : les viols sont significatifs des systèmes masculins de représentations, et agissent pour l'auteur comme un révélateur des ressorts les plus soigneusement cachés de la « culture de guerre » à la française du fait de l'attention au déroulement du viol (collectifs, humiliation, coups, insultes, mises à mort…), de son instrumentation par la propagande de guerre et de la violence idéologique qu'il suscite. Le sujet centre est donc la guerre dans sa violence radicale, physique et idéologique.
Selon la définition de l'auteur, la « culture de guerre » est un ensemble de représentations, d'attitudes, de pratiques, de productions littéraires et artistiques qui sert de cadre à l'investissement des populations européennes dans le conflit...
[...] Ces deux évolutions, et la décision gouvernementale, témoignent de l'usure de la culture de guerre depuis 1914. En effet, selon l'auteur, il est possible d'établir une chronologie de cette dernière : avant 1916, la culture de guerre est constituée par le système de représentations cristallisées à l'été 1914 autour des atrocités allemandes et des buts de guerre ; se propage alors l'idée d'une guerre de la civilisation contre la barbarie, et cette forme de messianisme en prolonge de plus anciennes[60]. [...]
[...] C'est donc un acte de guerre héroïque qu'elle inflige à l'ennemi de la nation. Joséphine est acquittée le 23 janvier 1917. La presse quotidienne a été fascinée par cette Jeanne d'Arc violée dont elle héroïse le crime et justifie la résolution : les journaux ont donc été massivement favorables à l'accusée. De même, le jury qui a décidé de l'acquittement parvient à cette conclusion du fait du double traumatisme de l'opinion française, instrumentalisé par la propagande : celui des viols commis par l'ennemi en territoire envahi ; celui des naissances qui en sont la conséquence. [...]
[...] Elle favorise la levée des interdits ordinaires, surtout pendant les moments de répit sous la forme des besoins les plus fondamentaux[22]. Enfin, les phénomènes de groupe jouent également : lorsque les viols sont collectifs, ce sont des manifestations de cohésion et de virilité, et le nombre amoindrit la culpabilité. Qualifiés par l'historiographie anglo-saxonne de groupes primaires ils se créent dès le début de la guerre contre le sentiment de ne compter pour rien. Ici, le corps des femmes devient l'objet de solidarité et de communication entre soldats. [...]
[...] Ceci excuse, justifie voire légitime leur suppression par l'avortement et parfois par l'infanticide. Cette conception ethnique et biologique de la guerre est donc présente dès 1914-1918 et annonce une nouvelle brutalité dans la manière de penser le conflit armé en Europe. Enfin, cette question dévoile les ressorts les plus profonds et dérangeants de la culture de guerre française en l'occurrence, la plus violente peut-être parmi les variantes nationales présentes dans ce conflit. L'étude de la culture de guerre est récente, et prend appui sur l'analyse des systèmes de représentations et de la circulation des objets culturels, ainsi que leurs évolutions respectives. [...]
[...] Mais si le journal reçoit le soutien d'adversaires déclarés du féminisme, une partie du lectorat n'a pas suivi (lettres d'injures Les féministes affirment aussi que supprimer ces enfants serait une atrocité allant contre les principes pour lesquels meurent les soldats. Cette cause reçoit l'appui inattendu de certains révolutionnaires : dans la Bataille syndicaliste, Marcelle Capy resitue le débat sur le plan de l'inégalité des classes, et souligne que les victimes ne sont pas à égalité devant les conséquences du viol et de la naissance. L'État doit donc corriger l'injustice, mais elle appelle tout de même à respecter la vie. Les médecins sont divisés, car le problème est à la fois moral et scientifique. [...]
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