Dans son roman Première journée à Rufisque qu'il écrit en 1926, Jean-Richard Bloch, écrivain et intellectuel engagé, d'origine juive et militant du parti communiste, favorable à l'émancipation des colonies, s'attache à décrire la société sénégalaise aux lendemains de la première guerre mondiale en donnant la parole à un colonial raciste et exploiteur.
Dès le XVIIe siècle, les Français, après les Portugais et les Britanniques, s'installent le long des côtes du Sénégal pour implanter plusieurs comptoirs, à Rufisque notamment. La France, la Grande Bretagne et la Hollande se disputent le Sénégal et le traité de Paris signé en 1814 rend le pays à la France. A partir de 1854, Faidherbe entreprend d'élargir la domination française à l'ensemble du Sénégal. C'est lui qui crée les premiers bataillons de tirailleurs Sénégalais pour l'aider dans cette entreprise. Les dernières résistances contre l'occupation coloniale sont défaites en 1891. Le décret du 16 juin 1895 crée l'OAF (Afrique Occidentale Française). Le Sénégal est le siège de la fédération, Dakar en étant la capitale à partir de 1902. Le Sénégal jouit alors d'une place particulière dans l'empire colonial français, plus autonome que les autres colonies, ce qui permet l'émergence d'une élite noire et en 1914, Blaise Diagne est le premier député noir à entrer au parlement français. Dans le même temps la guerre éclate en Europe. Celle-ci paraissait inévitable, voire nécessaire pour certains, et l'idée de faire appel aux colonies pour soutenir l'effort de guerre français avait émergé dès 1910 : dans La force noire, le lieutenant-colonel Mangin imagine une Afrique noire qui serait un immense réservoir de soldats dévoués. En 1914, l'état major est encore sceptique face aux thèses de Mangin, et c'est réellement à partir de 1916 que le gouvernement français va recruter massivement des troupes dans tout l'empire. Blaise Diagne est nommé à la tête d'un Commissariat général des troupes noires pour le recrutement des soldats au Sénégal. Lui qui exige depuis 1914 le droit pour les citoyens Sénégalais de pouvoir combattre aux côtés de la France, voit ainsi son vœux exaucé. Cette guerre constitue une étape décisive dans l'histoire du Sénégal puisqu'elle engendre des sentiments nouveaux chez les colonisés qui sont rentrés du front français, conscients d'avoir participé à la lutte et contribué à la victoire de la métropole.
Ces sentiments nouveaux transparaissent dans le texte de Jean-Richard Bloch. Des lignes 1 à 5, le narrateur s'étonne du fait que les blancs et les indigènes ne se mélangent pas dans le train et demande à son « informateur » si des voitures sont réservées aux Noirs. Cette question amène Mr Chabot, des lignes 10 à 35, à montrer de quelle manière la guerre a « gâté le Noir ». Mais il finit ce tableau en concluant, des lignes 35 à 70, que la paix une fois revenue, les choses vont rentrer dans l'ordre petit à petit. Il est intéressant de voir dans le discours de Mr Chabot, l'archétype du raciste, l'impact qu'a eu la Première Guerre Mondiale sur la société sénégalaise. Pour mieux comprendre les bouleversements provoqués par ce conflit mondial, il convient de revenir sur le statut du Sénégal avant guerre. Puis il faut analyser quelle a été l'implication du Sénégal dans la guerre en s'attardant sur la politique menée par Blaise Diagne. Enfin, on pourra mesurer comment ce conflit remet en cause la société sénégalaise dans ses structures.
[...] _ Les exigences des anciens combattants se heurtent aussi à leur propre village et à leurs propres familles. Le tirailleur retrouve sa femme et son village inchangés et tels qu'il les avait laissé (l41) alors que lui- même a été profondément bouleversé par son séjour en Europe. Pendant quatre ans il a vécu à l'européenne et un fossé s'est creusé avec ceux qui sont restés au village. Ils ne peuvent pas comprendre les revendications et les récits que ces pauvres héros (l59) font de Bordeaux, de Châlons ou de St Tropez (l38). [...]
[...] Malgré l'abolition de l'esclavage en 1848 il souhaite que le Noir retrouve sa vieille connaissance, la trique (l58) et insiste sur le fait que le Noir ne peut que se mettre au service de son maître blanc dans le cadre de l'économie de traite qui existe au Sénégal. La Grande Guerre a donc été un facteur de bouleversements très importants dans la société sénégalaise. Après avoir longuement hésité à faire intervenir les troupes coloniales sur les fronts européens, le gouvernement français n'a d'autre choix que le recours à la force noire s'il veut triompher. Les tirailleurs Sénégalais recrutés par Blaise Diagne jouissent alors d'un incroyable prestige auprès des populations françaises qu'ils sont venus défendre. [...]
[...] Il faut attendre 1891 pour que Faidherbe vienne à bout des dernières résistances à la présence coloniale et fasse du Sénégal une véritable colonie : il devra repousser les Toucouleurs, annexer le pays des Ouolof en 1858 ou encore mener une guerre sans relâche de 1882 à 1884 contre le souverain du Cayor. _ Pour l'aider dans son entreprise, Faidherbe s'appuie sur l'armée coloniale d'Afrique Occidentale Française. Les tirailleurs sénégalais ont un rôle déterminant dans la politique de pénétration du républicain acquis aux thèses de Schoelcher et dans la pacification de l'AOF. Ces tirailleurs sont dès 1854 l'armature de l'emprise française en Afrique de l'ouest. Grâce à ces militaires inséré dans le tissu politique local, l'indigène se tient poliment à sa place sans que la ségrégation n'ait besoin d'aucun texte légal (l26). [...]
[...] En 1910, une enquête du colonel Mangin démontre la possibilité de lever au moins hommes. Celui-ci met en avant le fait que la force noire ainsi créée sera le creuset dont sortira une élite africaine attachée à la France. _En 1912, une première levée de seulement hommes est effectuée en AOF. Le 14 juillet 1913, le président Raymond Poincaré accroche la Légion d'honneur au drapeau du 1er régiment de tirailleur sénégalais. Malgré ce symbole fort, lorsque la guerre éclate, le gouvernement ne prévoit pas vraiment l'intervention des colonisés dans ce conflit européen. [...]
[...] _Mais face à l'Allemagne, la France ne fait pas le poids sur le plan démographique. La défense du territoire est fondée sur une doctrine offensive et il faut donc beaucoup d'hommes. A partir de 1916, la France va devoir faire appel à sa force noire et procéder à la levée en masse de troupes dans tout l'empire. Ce concours de l'Afrique noire n'était pas prévu et cette improvisation va être douloureusement ressentie La politique de Blaise Diagne _ Face à l'enrôlement destiné à pourvoir la France en homme, les révoltes se multiplient et les levées ne sont pas à la hauteur des exigences. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture