Soft power - puissance et Europe
On a beaucoup parlé, depuis le double revers au référendum sur le Traité constitutionnel européen, de l'échec de la CED, établissant par là même une comparaison entre les deux événements. La tentation du déclin est grande dans cette approche, mais elle est stérile, comme bien souvent (et historiquement fausse). Le petit essai de Zaki Laïdi sur la « puissance européenne » n'a pas été écrit pour nous rassurer, mais pour nous rappeler qu'il est urgent de réfléchir à l'avenir de l'UE, qui n'a pas disparu avec le projet constitutionnel dont il n'était qu'un reflet. L'acquis communautaire est là, rappelant l'inanité de la comparaison avec le « crime du 30 août » 1954, à une époque où les réalisations européennes étaient encore minces, et les conséquences d'un échec par conséquent catastrophiques.
Réfléchir implique cependant de se poser les vraies questions, celles en tout cas que le traité constitutionnel n'osait soulever frontalement : comment, à l'échelle communautaire, concilier identités nationale et européenne avec la permanence de l'Etat-nation, tout en se voyant reconnaître les attributs de la puissance à l'échelle mondiale ? Bien évidemment, ces questions nous renvoient à l'actualité la plus brûlante des relations internationales, qui semble orchestrer un retour en force de certains Etats désireux de faire respecter leurs souverainetés politiques, quitte à le faire aux dépens d'un ordre mondial qui semblait pourtant possible après la chute de l'hydre soviétique. Que peut faire l'Europe dans ce monde plus complexe et qui semble revenir aux schémas les plus classiques de la Realpolitik, où la loi est contournable et la règle l'anarchie ? C'est à cette question que Z. Laïdi va tenter de répondre tout au long d'un ouvrage court (156 pages), mais très synthétique.
[...] Bien évidemment, ces questions nous renvoient à l'actualité la plus brûlante des relations internationales, qui semble orchestrer un retour en force de certains Etats désireux de faire respecter leurs souverainetés politiques, quitte à le faire aux dépens d'un ordre mondial qui semblait pourtant possible après la chute de l'hydre soviétique. Que peut faire l'Europe dans ce monde plus complexe et qui semble revenir aux schémas les plus classiques de la Realpolitik, où la loi est contournable et la règle l'anarchie ? C'est à cette question que Z. [...]
[...] Une norme n'est-elle pas par essence rigide, et n'a-t-elle pas pour ambition de concourir à la définition de ce qui doit être ? L'auteur pêche par excès d'abstraction : une puissance représente une volonté d'agir sur le monde, certes, néanmoins cette volonté débouche sur une capacité de domination, qui peut rester virtuelle, exister sans se manifester, mais dont la potentialité est un élément en soi des relations internationales, capable d'exercer une influence sur les personnes et les choses. Et, en soi, la Normpolitik proposée par Laïdi ne peut que rencontrer des réticences de la part des autres puissances, qu'elles soient confirmées ou émergentes, ce qui d'ailleurs n'a rien de nouveau : André Suarès écrivait déjà en 1928 que l'Amérique a fait jouer le principe de Munroë (sic) au gré de ses besoins. [...]
[...] Dans un premier temps, Europe et puissance sont-elles compatibles ? La réponse lui paraît être négative, puisque le projet européen s'est avant tout fait contre la guerre, et que l'instrument le plus classique de la puissance, l'Etat, y paraît condamné. Pour Laïdi, les Européens ne se vivent pas et ne se voient pas comme les garants ultimes de leur sécurité (p.16), point commun qu'ils partagent avec les Japonais, eux aussi méfiants vis-à-vis de leur passé (bien que l'auteur oublie dans un cas comme dans l'autre les tentations du révisionnisme historique qui travaillent ces sociétés). [...]
[...] Ce dernier n'est d'ailleurs pas seul en cause : l'Europe existe avant tout par un corpus de normes, mais n'a pas de corps ni de référents qui permettraient de parler de demos européen (ce que l'auteur appelle un point de capiton Or, sans ce demos, il n'y a pas de hard power possible, parce que chaque peuple, au sein de l'Union, ne pondère pas les menaces de la même façon (ainsi les pays de l'Est qui ont adhéré à l'Europe pour mieux recouvrer leurs souverainetés). Parallèlement, créer une armée nécessite des sacrifices qui n'ont rien de symbolique, et ne peut pas s'organiser comme une restructuration industrielle : la politique de défense semble ainsi mal partie, de même que la lutte anti-terroriste, ainsi que le démontrent les difficultés du mandat d'arrêt européen. Cependant, l'Europe s'est définie dès le départ comme une puissance civile désireuse de domestiquer les rapports mondiaux. [...]
[...] Ceci dit, l'auteur rappelle que cette préférence est bien illusoire, tant les processus de gouvernance mondiale, à l'heure actuelle, sont fragmentés, avec des décalages (plus pour le commerce, moins pour les droits économiques et sociaux), et surtout des mécanismes de résistance ou de sortie du jeu mondial, que seule la stratégie de puissance peut permettre (on pense bien évidemment aux Etats-Unis). Pour Laïdi, ce serait ainsi une erreur de vouloir constitutionnaliser l'ordre mondial, comme ça a été une erreur, à l'échelle de l'UE, de passer en force avec le Traité constitutionnel. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture