Se proposant de dépasser les débats traditionnels de l'historiographie sur l'Empire et la colonisation, Christophe Charle introduit le nouveau concept de « société impériale », à même d'éclairer l'histoire européenne aux XIXème et XXème siècles. Il ambitionne alors de transcender les séparations entre histoires coloniale et nationale ainsi que l'utilisation de notions recouvrant des réalités historiques pourtant diverses. L'exemple britannique, où la société impériale émerge au tournant du XXème siècle, illustre ici l'apport de l'approche de Christophe Charle dans notre compréhension du colonialisme.
La société impériale rend compte de configurations où l'Etat-nation du XIXème siècle revêt une dimension impériale par la domination polymorphe qu'il exerce sur des territoires et des populations éloignés.
[...] Or, l'Empire joue un rôle face aux nouveaux défis qui résultent de l'évolution de la société. L'immigration vers l'outre-mer répond ainsi à la pression démographique, notamment dans les régions rurales et paupérisées. De même, la déportation vers l'Australie des détenus des prisons surpeuplées, typiquement en Irlande où les tensions politico-sociales sont plus vives qu'ailleurs, participe à la gestion des crises internes. Cette longue période d'hésitation se prolonge par une opposition entre deux logiques de domination, formelle et informelle, qui rythme l'Empire au milieu du XIXe siècle. [...]
[...] Par exemple, l'annexion du Sind en 1842 et du Pendjab en 1843, suite au conflit en Afghanistan, répond davantage à une logique malgré soi qu'à une stratégie coloniale globale. Si l'on ajoute les réformes concédées dans les colonies de peuplement afin de prévenir les révoltes, comme au Canada, l'action coloniale britannique ne semble pas annoncer la naissance d'une société impériale. B. L'Empire demeure capital pour la puissance britannique. Néanmoins, les colonies conditionnent le leadership mondial exercé par l'Angleterre. Tout d'abord, sur le plan économique, Christophe Charle démontre le rôle capital de l'Empire dans l'industrialisation britannique. [...]
[...] La société impériale, résultat de logiques coloniales concurrentes (1854-1876) A. La Grande-Bretagne développe son Empire informel à but économique. Le libéralisme britannique, en tant qu'idéologie et système économique, tend au milieu du XIXe siècle à privilégier un Empire informel, fondé exclusivement sur des relations commerciales. Pour Christophe Charle, l'Empire colonial britannique se double d'un Empire commercial mondial lié au développement du libre-échange dans des zones non formellement rattachées au monde britannique La Chine, où les Européens imposent la politique de la porte ouverte l'Amérique latine et l'Empire ottoman polarise notamment les échanges commerciaux et les investissements de capitaux. [...]
[...] En dépit de décennies d'hésitations, d'absences et de crises, l'Empire britannique formel et informel est conforté dans les moments critiques. Il avance vers la consécration d'une société impériale assumée, décomplexée, sûre de sa supériorité et de sa destinée coloniale. Après la Première Guerre mondiale, l'Empire demeure perçu comme une solution face aux difficultés économiques, permettant de diffuser le chômage de masse et de compenser la réduction du commerce international en s'appuyant sur les échanges intra-impériaux. La société impériale caractérise donc l'histoire socioculturelle de la Grande-Bretagne jusqu'à ce qu'elle abandonne la croyance en une vocation impériale comme repère collectif. [...]
[...] Le constructive imperialism traduit bien cette volonté britannique de développer l'Empire pour répondre à la concurrence internationale. Le recul relatif de l'économie, fragilisée par la Grande Dépression (1873- 1896), impose de redéfinir la politique coloniale. La nouvelle préférence impériale, intermédiaire entre le libre-échange et le protectionnisme, présente ainsi l'avantage de protéger l'industrie anglaise tout en garantissant des débouchés à l'outre-mer. La Guerre des Boers, au-delà du nationalisme exacerbé qu'elle suscite, illustre quant à elle l'importance géopolitique de la colonisation : malgré des difficultés militaires majeures, les Britanniques s'attachent à prendre le contrôle d'une région stratégique pour ses ressources minières et sa situation sur la route des Indes. [...]
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