Le présent ouvrage de Jean-François Wagniart nous propose ici une étude détaillée d'un personnage qui prend une importance particulière sous la IIIe République : le vagabond dans lequel elle va cristalliser toutes ses angoisses au point de mettre en place une politique répressive. En effet, avec l'intégration progressive de la classe ouvrière sous la IIIe République ce sont les vagabonds qui, entre autres, deviennent des individus à isoler, afin de protéger la société.
Tout comme aujourd'hui, il est rare de trouver des analyses précises et détaillées des personnes vivant aux marges de la société, encore plus qui s'intéressent aux personnes davantage qu'aux groupes qu'elles forment. C'est pourtant ce à quoi s'attache ici l'auteur, en ne traitant pas seulement du vagabondage, mais également, et c'est le plus intéressant, du vagabond lui-même, en tant qu'individu social.
L'enjeu de cet ouvrage est donc de sortir de ces représentations préconçues, sans pour autant les laisser de côté, et de proposer une vision plus humaine et plus réaliste de cet individu.
[...] L'angoisse et la xénophobie s'en trouvent renforcées. De plus, parce qu'il refuse les critères moraux, sociaux et politiques, le vagabond incarne la folie et la dégénérescence, d'où une médicalisation de la question, avec des centaines d'ouvrages entre 1850 et 1910. Alors que la psychiatrie moderne s'affirme, elle trouve en effet dans le personnage social du vagabond une justification et des réponses pertinentes à ses investigations. Ainsi, les vagabonds malades sont classés en cinq groupes : faibles congénitaux, paranoïaques, déments, neurasthéniques et automates ambulatoires. [...]
[...] La Grande Dépression a joué un rôle déterminant, en particulier dans les campagnes, qui ont du mal à se moderniser. Le vagabondage n'en reste pas moins structural. Vivant toute leur vie dans des conditions d'hygiènes déplorables, les vagabonds subissent de nombreuses maladies, physiques et psychiques, ce qui renforce l'exclusion. Même si la maladie peut être à l'origine de l'errance, elle ne fait en général que la renforcer, notamment avec l'apparition de troubles mentaux. Sont alors distingués les inoffensifs des dangereux, mais quoi qu'il en soit, très peu sont internés. [...]
[...] Politiquement, certains ont pour habitude de provoquer verbalement les représentants de l'État, mais très peu se sentent concernés. Même si certains ressentent de la sympathie pour les anarchistes, ils sont rarement concernés par leurs luttes loin de leurs préoccupations immédiates. Quels sont les espoirs du vagabond ? La recherche de travail constitue un élément primordial, mais il est souvent victime de son ignorance et de son manque d'informations. Beaucoup choisissent alors l'engagement militaire, ouvert à tous. Quant à la solidarité familiale, elle est plus un mythe qu'une réalité. [...]
[...] D'autres préfèrent au contraire tout avouer, sans chercher à dissimuler quoi que ce soit, révélant l'incroyable brutalité de la société. Enfin, les autres, de loin les plus nombreux, se taisent, et laissent le juge décider de leur sort, en le laissant faire lui même les réponses, selon un rituel bien établi. Tous portent un regard désabusé sur la vie, entre fatalisme et révolte. Certains refusent de se plier aux règles et aux réalités qu'on lui impose : peu d'entre eux sachant écrire, c'est par les actes qu'ils le manifestent. [...]
[...] Cette innocence se traduit également par le retour à l'enfance que chacun porte en soi, signe de l'inadaptation du vagabond aux règles sociales et morales. Se construit derrière tout cela l'image d'un personnage révolté, qui ne peut accepter son sort sans se révolter, non pas forcément pour changer le système politique, mais d'abord pour réagir contre l'arrogance, le luxe des riches, et leurs lois. Ce vagabond révolté suscite un véritable engouement littéraire, car ignorant la propriété, l'autorité et les frontières, il ne connaît que liberté et fraternité. [...]
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