L'Algérie, passé sous domination française en 1830, est une colonie au statut particulier car c'est la seule colonie qui est rattachée au territoire national et divisée en départements. Tous les habitants de ce territoire sont considérés comme citoyens français, mais tous n'ont pas les mêmes droits, ce qui conduit à un mouvement de revendication d'égalité de la part des musulmans. A l'origine ceux-ci demandent seulement une amélioration de leur statut (égalité des droits), les indépendantistes étant peu nombreux. Après la Seconde guerre mondiale et l'engagement des Algériens dans les rangs des armées qui reconquièrent le territoire métropolitain, les revendications se modifient et commencent à porter l'idée de l'indépendance. Le premier affrontement a lieu à Sétif le 8 mai 1945, lors de la répression sanglante d'une manifestation. On assiste à une radicalisation du conflit et en 1954 est créé le FLN qui initie la lutte violente. En réponse, le président du Conseil décrète l'état d'urgence en avril 1955 et envoie l'armée pour réprimer le FLN. Le remplacement de E. Faure par Guy Mollet début 1956 à la tête de la présidence du Conseil ne change rien à la situation et le 12 mars celui-ci fait voter la loi sur les pouvoirs spéciaux de l'armée et envoie de nouveaux soldats du contingent en Algérie.
C'est dans ce contexte de guerre – bien que le terme ne soit pas utilisé et accepté par l'Etat – qu'est rédigé l'article de Henri-Irénée Marrou (1904-1977). Celui-ci un historien français spécialiste du christianisme primitif, qui est au moment où il publie cet article, professeur à la Sorbonne. Ancien résistant, il s'est opposé dès 1953 à l'emploi de la force en Algérie, en signant notamment “l'appel des intellectuels pour la paix en Algérie” paru dans l'Express daté du 7 novembre 1953. L'article “France, ma patrie” est publié dans Le Monde daté du 5 avril 1956 à la rubrique “libre opinion” et se situe dans la poursuite de ce combat. Il y dénonce l'emploi de la torture pour interroger les suspects algériens. Si cet article n'est pas le premier – il y a déjà eu ceux de F. Mauriac et C. Bourdet en janvier 1955 – il n'en reste pas moins marginal, l'opinion ne semblant pas se préoccuper de la question avant 1957.
On peut donc se demander en quoi cet article montre la confrontation entre les valeurs promues par une nation et les pratiques réelles de l'Etat qui l'incarne.
Nous allons d'abord voir que Marrou expose les différents arguments justifiant la guerre pour les réfuter pour mieux mettre en évidence le danger de l'écart grandissant entre les valeurs de la France et les pratiques de l'Etat. Enfin nous verrons que cette prise de position fait appel à l'émotion pour convaincre.
[...] Henri-Irénée Marrou, “France ma patrie”, Le Monde avril 1956 L'Algérie, passé sous domination française en 1830, est une colonie au statut particulier car c'est la seule colonie qui est rattachée au territoire national et divisée en départements. Tous les habitants de ce territoire sont considérés comme citoyens français, mais tous n'ont pas les mêmes droits, ce qui conduit à un mouvement de revendication d'égalité de la part des musulmans. A l'origine ceux-ci demandent seulement une amélioration de leur statut (égalité des droits), les indépendantistes étant peu nombreux. [...]
[...] Marrou refuse cette explication avec le terme “prétendus réalistes” (l.12). Le choc des civilisations Il refuse également l'explication religieuse : lignes 14-17. Il se moque de ceux qui développent l'idéologie de la croisade et du choc des civilisations, présentant l'affrontement comme inéluctable. Lignes 43-45 : on retrouve l'idée de la guerre de religion mêlée à d'autres arguments invoqués par les partisans de l'Algérie française : l'allusion à un complot arabe à la tête duquel se trouverait l'Egypte (suite aux tensions liées au canal de Suez, propriété d'un groupe franco-anglais et revendiqué par les nationalistes égyptiens), mais aussi l'idée qu'on ne peut pas confier la direction du pays aux indépendantistes présentés comme des “repris de justice”. [...]
[...] La censure n'est pas une contrainte avant la publication mais s'exerce par des saisies de journaux après leur impression, ce qui leur coûte très cher et a pour conséquence une autocensure. Ce phénomène est d'autant plus grave que les auteurs d'articles censurés sont parfois arrêtés comme on le voit ligne 1 : Claude Bourdet est un journaliste qui a commencé à dénoncer la torture en Algérie dès 1954 et a été arrêté le 31 mars 1956. Quant aux pouvoirs spéciaux, ils sont votés le 12 mars à l'initiative du gouvernement Mollet. [...]
[...] La référence à la guerre est d'autant plus forte que celle-ci est encore très largement présente dans les esprits à cette époque : Marrou montre par là sur quelle pente risque de glisser le pays s'il tourne le dos à ses idéaux. Après avoir dénoncé le danger que représentent les méthodes de l'Etat dans le contexte de la guerre d'Algérie qui met face à face les valeurs fondamentales de la nation et la pratique réelle du pouvoir, Marrou n'hésite pas à recourir à l'émotion et à divers procédés rhétoriques pour convaincre les lecteurs du Monde. [...]
[...] Marrou ancre ce qui se passe en Algérie dans sa culture de la Seconde guerre mondiale : les deux partis en présence sont définis en référence constante à 1940-45, de la défaite à la résistance, en passant par les camps de concentration, le massacre du village d'Oradour- sur-Glane le 10 juin 1944 par la Waffen SS (parallèle avec les massacres de Sétif le 8 mais 1945 et le procès de Nuremberg. Il faut noter que Marrou n'est pas le seul à comparer les méthodes de torture en Algérie avec les activités de la Gestapo puisque l'article de C. [...]
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