L'actualité récente en Russie avec l'assassinat il y a quelques mois d'une députée libérale de la Douma , la multiplication des actes sanglants contre les agents du pouvoir ou les hommes d'affaires perpétrés par la mafia russe ( dont les méthodes paraît-il , horrifient Cosa Nostra ) montrent à l'évidence que la société russe est une des plus violentes au monde . C'est sur ce phénomène et plus particulièrement sur le meurtre politique que s'est penchée Hélène Carrère d'Encausse dans cet essai qu'elle a intitulé "Le malheur russe" , tant ce phénomène lui a semblé récurrent et gage d'infortune dans l'histoire de la Russie puis de l'URSS . D'origine russe , Hélène Carrère d'Encausse compte parmi ses ancêtres de grands serviteurs de l'Empire mais aussi trois régicides , ce qui , à n'en pas douter , la prédisposait à l'écriture de cet ouvrage ... Historienne de formation , elle a consacré tous ses ouvrages à l'étude la Russie et de l'URSS (on peut citer entre autres L'Empire Eclaté - Flammarion 1978 ou Le Pouvoir confisqué - Flammarion 1980 ) . Académicienne depuis 1990 , députée européenne ( RPR-UDF ) , elle a enseigné l'histoire et la science politique à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris .
En introduction , l'auteur souligne que toutes les sociétés politiques ont connu le meurtre politique en même temps qu' elles ont toutes souhaité y mettre fin ( Platon , Marx … ) . Ce phénomène a revêtu différentes formes et différents buts ( idéologiques , fonctionnels , médiatiques , acquisition du pouvoir … ) . Cependant , en même temps qu'elle se montre d'accord avec Thomas de Quincey pour dire que le meurtre politique a connu en Europe des intermittences , des discontinuités , Hélène Carrère d'Encausse souligne le cas à part de la Russie puis de l'URSS qui se caractérise selon elle par une "histoire continue du meurtre politique" ( p.15 ) . Le meurtre politique est-il dans ces conditions une donnée inhérente à la société russe ? L'historienne pense que oui et l'on peut distinguer dans son essai trois périodes dans le meurtre politique : une première où le meurtre politique se joue dans les coulisses de l'Etat et est exercé de haut en bas , une seconde à partir du milieu du XIXème siècle où le meurtre se développe de bas en haut , et une troisième période qui commence en 1917 qui peut être vue comme un retour au meurtre d'Etat dans des proportions cependant nouvelles.
[...] Hélène Carrère d'Encausse estime que pendant longtemps ( de 882 au milieu du XIXème siècle ) le meurtre politique s'est effectué au plus haut niveau de l'Etat et systématiquement dirigé de haut en bas , des gouvernants aux gouvernés . C'est ainsi qu'elle fait remonter le meurtre politique en Russie à 882 à Kiev : le système féodal des clans faisait alors partager l'Etat en apanages entre frères : malgré les efforts certains de quelques monarques pour développer l'unité nationale , le fait marquant demeurait l'inégalité des statuts et des biens qui transformaient les frères en impitoyables rivaux qui ne reculent devant aucune cruauté lors de la succession pour s'emparer de la ville de Kiev , dévolue à l'aîné . [...]
[...] Mais le stade suivant est l'Etat au service de la société , c'est-à-dire une société où le meurtre serait définitivement éradiqué. Pour conjurer ce "malheur russe" , Hélène Carrère d'Encausse pense qu'une ultime exécution est indispensable , celle de Lénine lui-même , l'idole embaumée , sorte de nouvelle statue de Peroun , qui continue de trôner dans son mausolée de la Place Rouge . L'ouvrage de Hélène Carrère d'Encausse se révèle enrichissant à plus d'un titre : c'est d'abord un formidable essai politique portant sur une longue période historique (plus d'un millénaire ) ce qui permet de juger sereinement de la continuité du meurtre politique à travers les époques , ceci constituant une bonne base pour la thèse qu'elle entend démontrer . [...]
[...] Cette stratégie terroriste va porter ses fruits avec l'assassinat du Tsar Alexandre II en 1881 ; les socialistes révolutionnaires en coordonnant leurs activités , atteindront les personnages clé de l'Etat ( Bogolepiov en Plehve en Stolypine en 1911 puis bien sûr , Nicolas II en 1917 après la Révolution ) . Ces actions ont permis l'affirmation et l'émancipation de la femme . De même, insiste l'auteur , ces terroristes sont déterminés et savent que leur meurtre appelle leur propre châtiment , alimentant ainsi une exigence morale et un combat intérieur forts , propres aux terroristes russes . [...]
[...] ( Machiavel , Borgia , les révolutionnaires français aussi , pour qui il est juste de déposer le tyran ) . Une autre critique peut se fonder sur le parti pris de l'auteur de vouloir expliquer rationnellement tous les meurtres politiques , étudier , en historienne , tous les ressorts de ces actes , leurs conséquences à court et long terme . Cette attitude est certes enrichissante pour ce qui concerne l'étude de souverains "rationnels" si l'on peut dire : mais en ce qui concerne Ivan le Terrible , ou bien Staline ? [...]
[...] D'autant plus que l'actualité récente ( avec cette fois à nouveau des meurtres commis de bas en haut ) semble donner raison aux conclusions de cet essai écrit il y a un peu plus de 10 ans . Et l'idée d'exécuter l'idole du mausolée , pour symbolique qu'elle soit , apparaît peu susceptible de ressouder une société en pleine déliquescence avec la crise économique . Une solution serait une attitude ferme de répression de la part de l'Etat . Elle paraît cependant difficile en raison de la fin de règne fantomatique de Boris Eltsine . [...]
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