La guerre des enfants aborde la question de la place des enfants dans la première guerre. Les enfants dont parle Audoin Rouzeau ne sont ni des adolescents ni de jeunes adultes sur le point d'être mobilisés. Il s'agit bien au contraire des plus jeunes êtres que la France, le Royaume Uni ou l'Allemagne ont compté pendant ces quatre années. Alors qu'il est naturel de penser, il me semble, que les très jeunes auraient pu échapper au phénomène de ces quatre années, puisqu'un très jeune enfant n'est en âge ni de comprendre ni d'agir, on se rend compte au contraire avec l'ouvrage de Audoin Rouzeau qu'ils ont été intensément impliqués dans le conflit. Impliqués dans le sens de prendre part aux sentiments qu'a inspirés cette guerre, de partager les espoirs du monde adulte, et de percevoir l'importance et l'enjeu de la guerre, et d'y participer sinon physiquement au moins moralement.
En s'appuyant sur un nombre considérable de documents : livres scolaires, ouvrages, albums et presse pour enfants, lettres, affiches, mais aussi jouets d'époque, Audoin rouzeau nous présente une réalité tout à fait inattendue. Les enfants de 1914-1918 auraient grandi DANS la guerre, sans pouvoir l'éviter, malgré leur bas-âge. La guerre devient le centre d'intérêt principal du monde enfantin, le seul sujet qui mérite d'être étudié et pris en compte. Les distractions des enfants sont systématiquement liées à l'activité guerrière au travers de leurs jeux et de leurs lectures. Mais au-delà de cette « culture de guerre », c'est un sentiment patriotique que l'on semble vouloir inculquer aux enfants, un désir de victoire qui doit se manifester par une implication personnelle, une mobilisation par les actes et par les idées.
[...] La place faite à l'imagination est soudainement réduite, puisque la moindre invention pour les enfants se focalise sur l'objectif de la guerre. Enfin, les récits s'adressant aux enfants font souvent preuve, et en particulier en France, d'une violence exacerbée dans le langage et dans la cruauté des images. Les atrocités de guerre décrites sont telles qu'il est effroyable de penser qu'elles s'adressaient aux enfants. Plus grave, ce sont souvent des discours de haine à l'égard de l'ennemi (surtout en France et en l'occurrence contre les Allemands), les enfants devenant les instruments et la cible d'une véritable opération d'exorcisme. [...]
[...] En faisant de ses enfants les plus grands guerriers, le monde adulte se prépare pour le conflit futur et la reconquête. Cet espoir qui repose sur les épaules des enfants explique sans doute en grande partie le thème suivant : 3 Mythe et réalité de l'héroïsme enfantin Stéphane Audoin-Rouzeau consacre un chapitre de son essai à l'enfant héroïque. Le mythe de l'enfant héros est présent partout dans les pays en guerre. Il est à la fois imaginaire apparaissant dans les romans pour enfants, et réel, puisque l'on compte quelques cas de véritables enfants héros. [...]
[...] Il me semble que Stéphane Audoin Rouzeau réalise ce travail d'une manière remarquable. Certes, si la vérité concernant les esprits de l'époque ne peut être retrouvée, on devine tout de même quelle devait être l'atmosphère de la société, puisque les outils de propagande, les manuels scolaires, les livres, journaux et communiqués eux sont bien réels. C'est déjà une avancée exceptionnelle de mettre bout à bout toutes ces informations. Cependant ce livre m'inspire une réflexion sur les limites de l'histoire : si tous ces documents, aussi nombreux et finement analysés qu'ils fussent, ne sont que des preuves d'une image, d'un idéal que l'Etat a voulu créer, que les témoignages qui restent ne sont que ceux de gens exceptionnels (Jean Paul Sartre, Simone de Beauvoir), comment comprendre réellement les réalités sociologiques de l'époque, c'est à dire le vécu au quotidien de cette guerre par les enfants ; enfants qui sont, comme le dit Stéphane Audoin Rouzeau, à la fois d'une grande docilité mais d'une immense discrétion : il semble qu'ils aient gardé pour eux l'essentiel de ce que fut la Grande Guerre à l'échelle des enfants. [...]
[...] Les programmes scolaires sont revus dans leur ensemble et soudainement orientés vers l'actualité. Toutes les matières sont touchées par le phénomène. Des cours d'histoire, qui deviennent cours d'actualité, aux cours de français, grammaire, calcul, géographie : tout porte d'une manière ou d'une autre sur la guerre. Cela sans compter l'anti- germanisme exacerbé déjà largement répandu au sein même de l'enseignement au début du siècle. Pourtant, si l'éducation met la guerre au centre de son programme, les enseignements français ne sont que très peu didactiques. [...]
[...] A voir les images qui sont diffusées et entendre les discours qui sont tenus aux enfants, il est effarant de constater le degré de violence qui était toléré à cette période. Peut-être était-ce le propre d'une époque de guerre ? Cependant, certaines des histoires racontées aux enfants existaient déjà depuis 1870, et il serait étonnant que la société ait toléré du jour au lendemain un passage à une telle brutalité. Ainsi cela m'amène à penser que le degré de tolérance de la violence était sans aucune comparaison avec ce qu'il est aujourd'hui. [...]
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