Fiche de lecture de l'ouvrage de Georges Mosse, l'historien qui a forgé le concept de "brutalisation" des sociétés : en démontrant que le champ politique allemand de l'après guerre a été réinvesti par la violence générée par la Grande Guerre, il propose une relecture globale de l'histoire politique qui lie sur le temps long le temps d'anomie de la guerre et ses réponses spécifiques, en l'occurrence la progressive émergence d'un Etat fasciste totalitaire dans le cas allemand. Bien que contestable si elle doit être appliquée à d'autres pays, la thèse fondamentale de George MOSSE offre un prisme d'analyse intéressant des domaines sociaux, culturels et politiques des sociétés du premier XXème siècle.
[...] Rétrospectivement, les soldats considérèrent leur proximité avec la nature comme un pur moment d'authenticité. Cette exaltation de l'authentique s'alliait à celle de la camaraderie affinité entre des hommes qui sont prêts à sacrifier leur vie parce qu'ils se sont sentis renaître et enfin libérés des contraintes d'une vie morne et hypocrite. C'est surtout après la fin des hostilités qu'on chargea la nature de masquer la mort et la destruction, et de transfigurer l'horreur de la guerre. On la domestiqua dans les cimetières ordonnés et dans les bois des héros, on la laissa reprendre ses droits dans les champs où les batailles avaient fait rage. [...]
[...] le romancier allemand Ernst Glaeser) : entretient des tranchées, vente de casques, de souvenirs retrouvés sur les lieux Les associations de pèlerinage périclitèrent car la compétition était devenue déloyale avec les organismes de tourisme qui traitaient ces affaires sans le sens de la solennité qui leur était due, et qui offrait confort et facilité aux touristes (hôtels, transports Ainsi, le champ de bataille devint, en soi, une attraction touristique, et les agréments de la visite adoucissaient l'horreur des lieux. Les anciens combattants déploraient que leur guerre fût devenue un simple souvenir ; ce qu'ils ressentaient comme une perte personnelle éloignait l'horreur pour les visiteurs-touristes. L'entreprise de banalisation a nourri le mythe de la guerre. [...]
[...] La mort est rarement figurée et quand elle apparaît, c'est sous un masque de calme et de sérénité. Son aspect héroïque, quand il est représenté, se trouve surtout dans les journaux. Quant aux blessés, ils n'ont d'ordinaire que des plaies légères ou des pansements impeccables, ne laissant apparaître aucune trace de sang qui put offenser le regard. Les infirmes sont toujours entourés de paysages printaniers, symboles d'espoir. Le thème de l'espérance apportée par la nature et le christianisme, si fréquemment utilisé par le mythe de la guerre, fonctionne ici à son niveau le plus primaire, le plus populaire. [...]
[...] Vers 1918, pour reprendre la phrase de Hans Dietrich Bracher, la notion de désaccord en Allemagne se confondit largement avec l'usage de la violence : la guerre était entrée dans la vie quotidienne et elle affectait la teneur de la vie politique d'après guerre 1918 avait donné une grande leçon de brutalité. Le processus de civilisation n'est pas sorti indemne de ces tensions. E. Jünger parle de ces hommes nouveaux sortis des tranchées, une race d'acier, pleine d'énergie, toujours prête à se battre, incarnant ce modèle de virilité agressive qui se retrouve sur tant de monuments aux morts. Même en France, Henri Massis écrivit des lignes sur la mystique et la pure joie de tuer (cf. impressions de guerre). [...]
[...] C'est une autre façon de nourrir le mythe. La banalisation permettait de s'accommoder de la guerre, sans la glorifier ni l'exalter, en l'intégrant à un monde familier qui repoussait les terreurs incontrôlables. Exemples multiples parmi les objets familiers : le bric-à-brac des foyers bourgeois ne faisait pas seulement office de décoration mais de mémorandum ; la culture populaire n'a jamais respecté la séparation entre le sacré et le profane. Le fait qu'on ait pu s'opposer ou s'offusquer de la production massive de ces babioles peut s'expliquer par la conscience qu'on avait du danger représenté par la banalisation du culte des soldats tombés au champ d'honneur. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture