Agrégé d'Histoire et maître de conférence en histoire contemporaine à l'IEP de Paris et à l'IUFM de Poitiers, Jérôme Grévy est un spécialiste la IIIe République, à laquelle il a consacré plusieurs articles ainsi qu'un ouvrage : La République des Opportunistes. 1870-1885 (1998). Il a plus récemment consacré un ouvrage à la crise religieuse au XIXe siècle : Le cléricalisme ? Voilà l'ennemi ! Uns siècle de guerre de religion en France (2005). Mais c'est dans une perspective plus large d'étude de la culture politique républicaine en Europe que s'inscrivent les travaux de l'auteur sur les républicains italiens dans la deuxième moitié du XIXe siècle. C'est dans le cadre de ces recherches qu'il va être confronté au personnage énigmatique de Garibaldi mais avant tout à son héritage complexe et changeant.
L'ouvrage part du constat que le personnage a été célébré, détesté ou raconté par beaucoup mais à travers des images de lui en constante évolution, parfois même en complète opposition les unes aux autres. Or c'est ce mythe, composite et polymorphe, que Jérôme Grévy choisit d'étudier et d'analyser dans ce livre, en ce qu'il « permet d'accéder à la vérité ». Des monuments aux œuvres littéraires qui lui rendent hommage, ou au contraire le condamnent, l'auteur passe en revue tous les témoignages de l'importance prise par le « Héros des deux Mondes », en Italie et dans le Monde. Ce choix est notable car véritablement original sur le plan historiographique. Les historiens qui se sont intéressés à Garibaldi l'ont généralement fait dans la perspective de démêler le vrai du faux, de donner un aperçu de la réalité du personnage et de la véracité de son existence- ce qui est traditionnellement considéré comme étant la tâche de l'historien. C'est le cas en particulier de nombreux auteurs des années 70-80 en Italie. Ici, Jérôme Grévy entend faire du mythe « un objet d'histoire à part entière ». Garibaldi n'est donc pas une biographie, au sens traditionnel du terme, mais plutôt une analyse de l'héritage garibaldien : Comment le mythe est-il né et s'est-il perpétué ? Comment ce personnage a-t-il pu être évoqué et revendiqué par tant de régimes, de tendances et de mouvements variés ? Quels sont les véritables tenants de l'héritage politique garibaldien ? L'ouvrage a en fait pour but de comprendre comment le personnage mythique que fut Giuseppe Garibaldi a pu « être tour à tour sacralisé, adulé, puis rejeté, banni », et ce à travers ses représentations.
Pour satisfaire à cette problématique, l'auteur procède en deux temps : Après avoir étudié le mythe dans sa formation puis ses transformations successives, il s'intéresse en particulier à ce qu'il nomme les « Enjeux garibaldiens ». Dans cette seconde partie il essaie de démêler les contradictions sur les thèmes-clés de l'héritage garibaldien pour mieux en saisir la portée politique.
[...] Celui-ci se pose en héritier de Garibaldi, certains symboles étant faciles à mobiliser. C'est le cas en particulier des chemises noires, qui rappellent les chemises rouges garibaldiennes, ou encore de la Marche sur Rome que Mussolini prend soin de présenter comme l'aboutissement des deux tentatives d'Aspromonte et de Mentana. La chute du régime fasciste aurait donc pu signifier la fin du mythe garibaldien en tant qu'il avait été pendant plus de vingt ans associé au régime totalitaire. Cependant les antifascistes, qui s'étaient battus pour défendre leur propre vision du Héros des deux mondes, ne l'ont pas abandonné avec la fin du régime fasciste. [...]
[...] S'appuyant sur des études récentes, il montre que Garibaldi est resté ancré comme une figure de l'italianité en dépit de cela, non pour ses actions ou ses idéaux mais pour sa manière d'être Les années de plombs ont d'ailleurs montré qu'il était encore une référence sollicitée par les hommes politiques lorsque l'unité de la nation était mise à mal. De même le centenaire de sa mort a donné lieu à de nombreuses célébrations. Cependant le mythe a indéniablement perdu de sa vivacité. Comme le conclut Jérôme Grévy, Garibaldi reste un symbole mais il ne fait plus rêver Enjeux garibaldiens Dans cette partie beaucoup plus courte que la première, l'auteur se détache de l'analyse linéaire pour s'intéresser à trois domaines en particulier. [...]
[...] La conciliation entre guerre et république Le dernier paradoxe que choisit d'éclaircir Jérôme Grévy est celui de l'association entre le caractère martial indissociable de celui qui fut le bras armé du mouvement unitaire et la vocation de ce dernier à mettre en place une république. La république et la démocratie qui va de pair dans l'idéal mazzinien repose en effet plutôt sur des idéaux pacifistes. Mais pour l'auteur, si Garibaldi est un soldat et un combattant ardent, il ne défend pas une doctrine martiale. La guerre reste un moyen de parvenir à l'unité et de faire triompher l'identité nationale. Cette vision est opposée en particulier au militarisme fasciste expansionniste qui voit la guerre comme une fin à part entière. [...]
[...] Garibaldi est un combattant pragmatique mais cela ne l'empêche donc pas d'avoir pour idéal une République universelle et pacifiste. Pour aller plus loin, Jérôme Grévy affirme même que, loin d'être nationaliste, Garibaldi a été l'un des premiers promoteurs de l'idée d'Etats-Unis d'Europe dont on attribue généralement, à tort, la paternité à Victor Hugo. En conclusion l'auteur répond de manière synthétique à sa problématique : les changements d'attitude et d'opinion vis-à-vis de Garibaldi ne sont autre que le fruit de la substitution d'une image à une autre Cet ouvrage est donc particulièrement ambitieux d'un point de vue historiographique et l'analyse du mythe que l'auteur prétend mener sans chercher à faire la part entre réalité et fiction semble en effet avoir une réelle pertinence dans ce qu'elle apporte à l'histoire. [...]
[...] Garibaldi constitue donc un ouvrage de qualité, riche et documenté, dont la lecture est globalement agréable. Il étudie avec minutie un mythe dont la compréhension fournit à juste titre un cadre privilégié d'analyse des courants idéologiques et politiques de la fin du et du vingtième siècle. Il apporte d'autre part une vision réellement nouvelle sur certains points parmi lesquels les convictions pro-européennes de Garibaldi qui ont tendance, à tort, à être peu évoquéés. [...]
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