L'auteur adopte d'abord une démarche historiographique pour analyser les visions de l'Espagne dans les textes des grands historiens français du XIXe siècle (I). Puis il s'appuie sur les transferts culturels dont la France et l'Espagne ont été l'objet au XVIIe siècle, pour mettre en lumière l'importance du modèle espagnol dans l'absolutisme à la française (II). Mais une telle relation d'influence devait fatalement donner lieu, en France, à la naissance de stéréotypes espagnols ainsi qu'à l'élaboration d'une véritable "légende noire", procédant du thème de l'antipathie des deux nations (III).
[...] Conclusion : la monarchie française, Très-Catholique et Très-Chrétienne Ce basculement fondamental, ce remplacement de l'Espagne par la France à la tête de la catholicité militante, trouve un écho saisissant dans les écrits politiques et pamphlétaires de l'époque : les arguments forgés par la France convalescente du début du XVIIe siècle contre l'Espagne prépondérante sont retournés contre la France triomphante, nouvelle incarnation de la monarchie universelle. De même, les arguments anti-espagnols forgés en Europe, ailleurs qu'en France, sont finalement retournés contre Louis XIV. La raison en est simple : pour parvenir à ses fins et détrôner l'Espagne, la monarchie française a dû se faire quelque peu espagnole. Le règne de Louis XIV réalise donc la synthèse de l'héritage "très-chrétien", spécifiquement français, et de la légitimité catholique, traditionnellement espagnole. Cf. la Ligue catholique du XVIe siècle constituée au moment des guerres de Religion. [...]
[...] Mais cette vision, qui est celle de l'abbé de Saint-Réal en 1672, doit affronter des versions concurrentes du mythe. On ne se limite pas à la légende noire : certains auteurs accordent ainsi une importance marginale au thème de l'intolérance religieuse de Philippe II tant il est vrai que la monarchie française, au XVIIe siècle, devient elle-même intolérante. En outre, dès lors que la France aspire à capter la mission historique de l'Espagne, Philippe II est quelque peu réhabilité sous les traits d'un grand monarque. [...]
[...] Le ministre, dont le nom reste associé à l'alliance avec les princes protestants, incarne la raison d'Etat à la française. Le roi, en revanche, est explicitement perçu comme un "monarque plus espagnol que français". Cette affirmation s'appuie sur deux critères : l'importance de la bureaucratie royale et le mélange du politique et du religieux au sommet de l'Etat illustré par la révocation de l'édit de Nantes. Pour Edgar Quinet, la catholicité est bien le facteur historique déterminant de la monarchie hispanique. [...]
[...] De plus, le castillan est bien connu à Paris, dans les milieux lettrés tout au moins : il est placé au sommet de la hiérarchie linguistique, exception faite des deux langues anciennes. Sur la France du XVIIe siècle, deux erreurs majeures sont à éviter. Il faut tout d'abord se garder de considérer 1661 (l'accession de Louis XIV au pouvoir personnel) comme un point de rupture, un tournant entre deux phases : invasion espagnole dans les esprits jusqu'en 1661, autonomisation française ensuite. Bien au contraire, les interactions s'exercent tout au long du XVIIe siècle. [...]
[...] L'antipathie et sa rhétorique se déploient essentiellement (au XVIIe siècle) dans un genre littéraire bien particulier : le récit de voyage, si critiqué au XVIIIe pour son manque d'exactitude et de spontanéité. Les récits français de voyages en Espagne se donnent pour but de décrire et d'analyser les formes de l'altérité hispano-française. Forme extrême, le discours sur l'ignorance mutuelle installe un rapport d'altérité maximale. Les stéréotypes véhiculés tiennent en quelques mots : les Espagnols sont graves, sobres, ascétiques ; l'Espagne apparaît essentiellement comme le pays de la "sécheresse physique des corps et des âmes". [...]
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