"Les filles de noces - Misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle", d'Alain Corbin

Résumé du document

Longtemps oubliées de l'histoire universitaire française, les conduites sexuelles vénales étaient pourtant abondantes (pour ne pas dire généralisées) entre 1799 et 1914 et constituent un aspect essentiel de la psychologie sociale. Par cet ouvrage, Alain Corbin entend étudier « la misère sexuelle et le plaisir vénal en dehors de la maladie vénérienne » afin d'écrire une « Histoire sexologique » du XIXe. Pour ce faire, il a tenté d'identifier la cohérence qui a pu exister entre réalité et représentations de la misère sexuelle afin d'en tirer un point d'accès à la compréhension de cette époque et des angoisses qui la rongent.

Son essai se divise en trois parties segmentant la période qui court du Consulat à la Grande Guerre. Chacune de ces trois sous-divisions temporelles vient nous montrer que les représentations de la prostitution ainsi que les mesures qui ont été prises à son égard n'ont cessé d'évoluer durant le siècle.

Extraits

[...] Souvent, ces filles n'ont pas exercé de travail avant la prostitution et n'ont aucune qualification. Bien qu'il n'existe pas, à l'exception des villes méridionales, de quartiers réservés aux maisons de tolérance, de stricts règlements s'appliquent en théorie à ces dernières quant à leur implantation, cependant, les modifications urbaines (Haussmannisation) diversifient grandement ces implantations géographiques, et rendent chaque quartier et leurs maisons spécifiques à une classe sociale. La grande diversité d'établissements que l'on trouve à Paris ne se retrouve pas en province où il arrive que bourgeoisie et classes populaires fréquentent les mêmes établissements. [...]

[...] Cette crise est essentiellement due à une évolution de la demande sexuelle avec un dégoût de la clientèle pour cet «égout séminal». Les tenancières sont forcées de s'adapter, en se reconvertissant en maisons de passe et de rendez-vous ou par une relative ouverture des maisons de tolérance, alors même que les maisons closes de première catégorie deviennent des "temples des perversions" pour une riche clientèle demandeuse d'un érotisme élaboré et d'une sexualité basée sur l'interdit. Ce déclin témoigne de l'échec du projet réglementariste, alors même que la demande nouvelle explique l'évolution entre un besoin de séduction et la recherche de nouvelles pratiques chez une minorité d'élites, que les classes populaires découvriront très vite. [...]

[...] Cette volonté de renforcer le réglementarisme traditionnel au profit de l'autorité médicale va progresser rapidement dans l'opinion, et marque ainsi une étape dans le débat public sur le sort qu'il convient de réserver à la fille publique. Ainsi, la prostitution va devenir dans cette période un "mal médical": le maintien de la cohésion sociale se fera dans cette perspective par le biais d'une approche sanitaire à la fois individuelle et collective. III- La victoire des nouvelles stratégies La victoire du Bloc de Gauche en 1902 semble placer l‘abolitionnisme en position favorable. Cependant, les partisans de la réglementation ont élaboré un système qui implique de nouvelles stratégies visant à marginaliser toujours plus les filles publiques. [...]

[...] Bien plus qu'un simple manuel d'histoire ou d'une étude de moeurs, cet ouvrage est le reflet d'une société initialement honteuse de sa sexualité qui va progressivement évoluer dans ses besoins et ses pratiques sexuelles, avec une mutation graduelle de la place des prostituées. [...]

[...] Il rejoint les revendications libertaires. Il s'agissait pour une Tarnowski ou un Lombroso non de définir leur milieu biologique afin d'exorciser les déviances sexuelles féminines, en les rendant anormales, confortant le réglementarisme en éludant tout problème d'organisation sociétale défectueuse. Le sens de l'anxiété provoquée que ce soit par le péril vénérien, la traite des blanches ou le spectre de la folie des prostituées est bien de favoriser la surveillance de la sexualité des filles publiques, de moraliser la société, d'endiguer la libération des mœurs. [...]