La catastrophe qui frappa les Juifs de 1933 à 1945 fut un phénomène massif. Elle toucha d'abord l'Allemagne et finit par engloutir presque tout le continent européen. Par ailleurs, elle mit en cause des exécuteurs de tous acabits, des victimes innombrables et une foule de témoins. C'est de ce point de vue que Raul Hilberg se propose d'étudier la destruction des Juifs d'Europe.
Raul Hilberg est né le 6 juin 1926 en Autriche. Raul Hilberg a 13 ans, en 1939, quand sa famille fuit l'Autriche nazie pour se réfugier aux Etats-Unis. Six ans plus tard, c'est sous l'uniforme américain qu'il assiste, en Bavière, à l'effondrement du IIIe Reich. En 1948, il commence une thèse sur la Destruction des Juifs d'Europe, sous la direction de Franz Neumann, professeur de sciences politiques à l'université Columbia (New York) et auteur d'un ouvrage pionnier sur les structures du régime nazi. En 1952, il devient membre du War Documentation Project et de l'United State Holocauste Memorial Council, témoin du département de la justice dans les procès contre les agents du crime. Ce poste lui donne accès aux archives du Troisième Reich saisies par l'armée américaine (le recours à ces archives sera vivement critiqué à l'époque). Soutenue en 1955, la thèse est publiée en 1961 par un petit éditeur, dans l'indifférence générale. Exécuteurs, victimes, témoins, est un triptyque qui réinscrit la Shoah au cœur des expériences individuelles. Cet ouvrage qu'il ne cessera de compléter jusqu'aux années 2000 est devenu une référence mondiale sur la destruction des Juifs d'Europe, notamment après la publication de la deuxième édition, en 1985 en langue anglaise -en 1988 dans sa version française.
En 1939, sept millions de Juifs étaient assujettis à la domination Allemande ou au régime d'un Etats satellite allemand. Neuf millions vivaient en dehors de cette sphère –moins de vingt mille en Suisse, deux millions en URSS, quelques centaines de milliers en Grande-Bretagne, et le plus grand nombre, soit près de cinq millions aux Etats-Unis.
On en vient donc à se demander qui sont les acteurs et quels ont été les mécanismes de la catastrophe juive.
Nous verrons tout d'abord les exécuteurs par l'étude des autorités allemandes, des fonctionnaires, médecins et juristes, mais aussi par l'étude des non allemands qui participèrent au génocide.
Nous étudierons ensuite les victimes en distinguant trois groupes, les dirigeants et les privilégiés, ceux qui constituent la masse : hommes, femmes et enfants et les réfugiés et survivants.
Nous aborderons enfin les témoins en distinguant les témoins passifs, ceux qui savaient mais qui ne faisaient rien, des témoins actifs, qui tentèrent d'aider les Juifs.
[...] Le premier est composé de communautés juives de Roumanie et Bulgarie, qu'une décision de leurs gouvernements avait épargnées à la dernière minute. Il restait aussi des Juifs dans les villes où les Allemands ne pouvaient plus mobiliser de convois. A Paris, par exemple, un certain nombre de familles juives occupaient toujours leurs appartements au moment de la Libération. De plus, un nombre appréciable de Juifs restaient protégés par un mariage mixte ou la nationalité étrangère. Les membres du second groupe avaient échappé à la mort en se cachant, en résistant ou en se camouflant. [...]
[...] S'y ajoutaient deux Etats satellites créés par les Allemands : la Slovaquie et la Croatie. Trois autres pays, qui avaient combattu l'Allemagne, étaient occupés, mais leurs gouvernements étaient prêts à faire appliquer les décrets antijuifs ou à collaborer sur le plan administratif : la Norvège, la France et les Pays-Bas. L'Allemagne attendait de ses alliés qu'ils reproduisent exactement les réglementations antijuives qu'elle avait mises en place sur son propre territoire. Tout ne marcha pas comme l'Allemagne l'espérait, certains pays rédigeant des définitions du terme juif qui s'écartaient de la formulation allemande. [...]
[...] Les grandes installations industrielles qui se construisaient dans le complexe d'Auschwitz conduisirent les avions de reconnaissance alliés à photographier la zone en avril 1944. Mais l'intérêt des Alliés s'arrêtait aux usines, et ceux qui interprétèrent les photos ignorèrent les unités de chambres à gaz et de crématoires. Il y eut des demandes de bombardements émanant des organisations juives mais toutes ces requêtes s'attirèrent une réponse négative. Si les Alliés, les pays neutres et les Eglises sont restés des témoins passifs face à la destruction des Juifs d'Europe, il n'en demeure pas moins que certains ont tenté d'aider les Juifs, ce sont les sauveurs. [...]
[...] Les gouvernements non allemands se montrèrent beaucoup plus coercitifs à cet égard, et les distinctions qu'ils opérèrent laissaient la place à plus de compromis. Nulle part on était aussi profondément déterminé à mettre en œuvre la solution finale qu'en Allemagne. Les nations alliées ou pays conquis, hésitaient perpétuellement entre une foule de considérations lorsqu'il leur fallait prendre une décision. Il en résultait tout un éventail de comportements, allant de la non-coopération à certaines formes de participation, à un engagement massif. Deux pays opposèrent un refus catégorique aux travaux d'approche des Allemands, la Finlande et le Danemark. [...]
[...] On ne créa aucun service particulier pour traiter des affaires juives et on ne débloqua aucun budget précis pour financer le processus. L'entreprise antijuive fut menée à bien par les services publics, le parti et l'armée. Tous les éléments qui réglaient la vie organisée de l'Allemagne furent conduits à y participer. Tous les organismes fournirent leur contribution ; toutes les compétences furent employées ; toutes les couches de la société se trouvèrent représentées dans le mouvement qui enveloppa progressivement les victimes. [...]
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