Mémoires européennes - pays de l'Est et construction européenne
Cet ouvrage tente, en multipliant les angles d'approche originaux, de mettre à jour les « gisements mémoriels » autres que nationaux, ainsi que les politiques publiques et de réconciliation au niveau européen. Il est le résultat de trois colloques internationaux organisés entre 2003 et 2006, rassemblant des chercheurs de différents horizons.
Le livre part d'un principe simple et direct (Georges Mink) : il faut cesser de penser que l'Europe n'est que l'anti-nazisme. Dans cette optique, l'histoire est trop souvent considérée comme gênante : la construction européenne elle-même est tournée vers le présent et le futur, et axée sur le droit. L'Est nous donne cette chance de réfléchir sur notre passé (comme le dit Maria Janion, « Oui à l'Europe, mais nous y rentrerons avec nos morts »). Ce passé bouillonne, et réclame, pour être appréhendé de la manière la plus juste, des comités d'historiens ainsi que des confrontations dans les arènes internationales, et peut-être des musées. Il s'agit d'éviter un consensus mou, et dans lequel personne ne se reconnaîtrait, axé sur le « réconciliationnisme » entre les peuples. L'historicisation devient nécessaire, à condition de respecter les règles scientifiques de base. Or, une nouvelle génération s'impose, surtout à l'Est, elle-même désireuse de s'expliquer avec un passé qu'elle connaît mal et qu'elle orchestre en fonction des polémiques du présent, multipliant les risques de décontextualisation. Il s'agit ni plus ni moins d'une mémoire réactive dans laquelle s'engouffrent certains historiens militants. Dans ce cadre, l'Est surexploite le thème de la « trahison de Yalta », où « l'histoire [est] une sorte d'addition » agitée sous le nez de Bruxelles. Il est temps de réfléchir sereinement à ces problèmes que n'arrêtent pas les frontières, et qui agitent pourtant nos mémoires nationales.
[...] Le modèle est-il perfectible, et peut-il avoir un rôle dans la gestion des mémoires douloureuses en Europe, dont le livre nous montre qu'elles sont bien vivaces ? La réponse est partagée. L'exercice est par définition un peu contraint, et maladroit dans sa démarche : l'UE cherche avant tout à faire passer une grammaire de réconciliation dans un cadre normatif parfois moralisateur, et jouant de la conditionnalité. Cela dit, l'intégration des pays de l'Est a aussi été un exercice d'autodéfinition pour l'UE qui sert à alimenter le débat sur l'identité européenne elle- même. Cet ouvrage en est une belle illustration, dont on ressort enrichi. [...]
[...] Quelle image donner de ce passé ? L'auteur s'attarde sur un documentaire passé sur la chaîne française M6, le 16 mai 2006, Quand l'Algérie était française dans lequel il perçoit une forme de nostalgie qui n'a rien à voir avec l'histoire. Il estime même que la colorisation des archives, utilisée dans ce reportage, s'apparente à une déformation, rendant compte d'un bonheur pied-noir qui n'est qu'un aspect de la vérité. D'après Stora, cette tentative peut être rapprochée de ces manuels scolaires algériens qui montrent la colonisation sous le seul angle de la répression, avec des tendances unanimistes qui montrent bien l'orchestration de la mémoire et de l'histoire. [...]
[...] Pourtant, toute l'île est officiellement membre de l'UE, mais la zone turque ne reçoit pas d'aide, et le turc n'est pas langue officielle. Une réconciliation est-elle possible, permettant plus de cohérence ? Du côté grec, l'auteur évoque une amnésie collective qui a un but politique précis : le plan Annan, le 24 avril 2004, a été rejeté essentiellement par les Grecs, ce qui empêche l'objectif de réunification, alors que l'île est entrée dans l'UE la semaine suivante. Depuis, le blocage par les Grecs continue, ce qui pourrait pousser de nouveau la communauté turque vers un discours souverainiste. [...]
[...] On assiste aux débuts d'une mémoire daytonienne totalement artificielle, mais pas de la guerre elle-même. Dans l'ensemble, c'est la volonté de silence qui continue à primer. L'ouvrage se termine par une série d'études des politiques publiques mémorielles en Europe. Laure Neumayer s'intéresse au rôle que les institutions européennes jouent en Europe centrale, où les conflits de mémoire ne manquent pas : loi du statut en Hongrie en 2001, décrets Beneš entre la République tchèque et l'Allemagne, etc . Dans tous ces cas, c'est surtout le registre juridique qui est mis en avant, plutôt que la dimension historique. [...]
[...] L'Espagne reste au centre de la contribution suivante (Odette Martinez-Maler), concernant la rupture du pacte de silence à propos de la guerre civile. La phase de réconciliation nationale, qui a suivi la fin du franquisme, a représenté une chape de béton sur la mémoire, si bien que le pronunciamiento n'a été condamné qu'en 2002. Pour cette raison, les vaincus de la dictature, qui n'ont pas eu réparation, se sont longtemps sentis floués. Depuis, des efforts ont été faits pour se rappeler, venant essentiellement de la société civile (caravanes de la mémoire, exhumations), dans le but de contrer la mémoire franquiste. [...]
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