« Sincèrement, si j'étais plus jeune et plus riche que je ne le suis malheureusement, j'émigrerais en Amérique. Non par peur, … mais en raison du puissant dégoût que m'inspire la pourriture morale qui, pour employer le mot de Shakespeare, empeste jusqu'aux cieux ». C'est par cette citation du poète Joseph von Eischendorff, à la fois évocatrice des bouleversements du monde et critique de la civilisation qui s'installe, que Eric Hobsbawm ouvre son ouvrage L'Ere du capital. Au fil des pages, l'historien britannique dresse le portrait du monde qui prend forme entre 1848 et 1875. Durant cette période tranquille, qu'encadrent une révolution politique et une crise économique, on assiste au triomphe du capitalisme et à la consécration du monde bourgeois, à l'unification du monde et au règne de nouvelles valeurs. Ce monde bourgeois naît de l'écrasement du printemps des peuples de 1848, qui éloigne la perspective d'une révolution sociale. Le système sort renforcé de cette épreuve : parvenant à transformer rapidement en fiasco la plus grande révolution de l'histoire européenne et à mettre en échec les revendications sociales et politiques des révolutionnaires, le fragile système conservateur de l'avant 1848 gagne à lui la bourgeoisie libérale qu'effraient les perspectives d'une révolution autre que politique. C'est donc le printemps des peuples qui marque le début de notre période : en rapprochant les gouvernements en place et la bourgeoisie, il inclut à la politique des Etats les préoccupations des bourgeois. Dorénavant, classes moyennes, libéralisme, démocratie, nationalisme et traitement des classes ouvrières seraient des traits permanents du paysage politique, qui allaient déterminer la façon d'agir de tous.
Dans quelle mesure l'ouvrage d'Hobsbawm donne-t-il une vision partiale du monde qui triomphe entre 1848 et 1875 ?
[...] La bourgeoisie se définit comme une classe, différant de la noblesse par l'absence de privilèges et du reste du peuple par le supplément de richesses. Le bourgeois est tout d'abord un capitaliste (c'est-à-dire qu'il possède un capital, des revenus tirés d'un capital ou une entreprise), et associe à son activité économique un rôle dans la politique locale, usant de sa puissance et de son influence. Les bourgeois ont des croyances communes et des formes communes d'action, confiants dans leur supériorité que leur vaut d'avoir montré des qualités morales équivalentes à celles du puritanisme. [...]
[...] La bourgeoisie choisit en effet une stratégie habile pour empêcher la classe ouvrière de devenir une force politique indépendante, reconnaissant les activités et les organisations ouvrières (droit de grève en France en 1884) plutôt que de faire des réformes sociales. Un monde fragile ? Le monde des campagnes illustre bien les fragilités du monde bourgeois, menacé par ses propres contradictions et son incapacité à intégrer entièrement toute la population. En 1848, les populations sont majoritairement campagnardes, alors que les grandes impulsions économiques et politiques des sociétés sont données dans les villes. Le monde des campagnes se trouve ainsi dans une situation paradoxale avec la société qui se crée. [...]
[...] Les résistances : agitation politique et faillite des mouvements ouvriers Tandis que le capitalisme et la société bourgeoise triomphent, les perspectives de changement diminuent d'autant. La société bourgeoise, fondée sur des principes égalitaires, devrait normalement aboutir sur la démocratie ; pourtant, les efforts portent plus sur un choix (qui intégrer à la politique que sur une méthode (comment intégrer le peuple tout entier Les progrès effectués dans le sens d'un gouvernement représentatif posent deux problèmes : l'intégration des classes moyennes et supérieures et l'intégration des masses. [...]
[...] La colonisation trouve en fait des victimes, des Etats de plus en plus faibles et disloqués, et renforce cette position de soumission (comme en Chine). Les victimes du monde capitaliste ne surent pas s'accommoder de la domination occidentale, échouent à incorporer l'Occident dans leur système occidental. Il en résulte une perte de l'Ancien Monde sans acquisition d'un monde nouveau. Les profits ne se voient guère et les pertes sont évidentes : le monde dominé ne bénéficie pas du progrès de l'Occident. Ceux qui résistèrent au nom du passé furent vaincus tandis que personne ne s'y opposait avec les armes du progrès. [...]
[...] Alors que le printemps des peuples mettait à l'ordre du jour sous un angle révolutionnaire les préoccupations identitaires, c'est finalement par des moyens non révolutionnaires que les aspirations nationalistes finirent par être réalisées. Aussi puissants que fussent les sentiments nationaux, la nation n'est pas un phénomène spontané mais artificiel : une nation doit en effet se construire, créer des institutions capables d'imposer une uniformité nationale (administration, école notamment), et la période étudiée ne voit le succès que des grands Etats capables de rassembler autour d'eux (unité italienne autour du Piémont de Victor-Emmanuel et Cavour, et allemande autour de la Prusse de Bismarck). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture