Shoah, Holocauste, génocide... Autant de mots pour nommer l'innommable, les crimes contre l'humanité des nazis, la tentative d'extermination d'un peuple tout entier... Persuadés ou presque de ne jamais s'en sortir, survivants et enfants de survivants ont tour à tour produit des centaines de milliers de témoignages dont il n'existe aucune bibliographie exhaustive. Les motivations à l'origine de ces témoignages sont diverses: mouvement spontané, exigence de la justice lors des grands procès d'après-guerre, besoin pédagogique des établissements scolaires, grandes enquêtes pour constituer des archives orales... Quant aux enjeux, ils sont doubles: politico-idéologique d'abord, avec la question de savoir s'il existe une ou plusieurs mémoires collectives; historique ensuite, puisque l'abondance de témoignages pose un véritable problème aux historiens et suscite leur méfiance du fait de leur subjectivité. Annette Wiervoka tente dans ce livre de faire ressortir l'histoire de la perception et de l'utilisation de ces centaines de milliers de témoignages et distingue pour cela trois périodes: 1945-1960 où les témoins sont peu écoutés, de 1968 à aujourd'hui qu'elle nomme « l'ère du témoin » et la césure 1960-68 qui marque l'émergence du témoin, particulièrement grâce au procès Eichmann.
[...] La tension témoin/historien Il s'agit de réparer l'irréparable, de rétablir l'identité sociale des descendants des morts sans sépulture qui peuvent imaginer les circonstances de la mort des leurs et commencer de la sorte le travail de deuil. Bien que ce soit un impératif pour l'éducation des générations futures, des critiques se font jour contre certaines contraintes : le survivant est enfermé dans une seule identité, celle de déporté et ,dans le même temps, en tant que déporté, la peur de n'être que celui qui témoigne enfle, tout comme le sentiment de perte de liberté, d'être utilisé. L'expression document vivant employée lors des combats de spécialistes ne peut que renforcer cette crainte. [...]
[...] Le nazisme et la Shoah sont présents dans l'espace public car ils ont dévasté des vies. Tout cela crée un malaise chez l'historien : pour lui, une juxtaposition d'histoires n'est pas un récit historique, et va même jusqu'à l'annuler du fait du manque de rigueur. Le procès Papon, dernière étape, a marqué la présence d'historiens parmi les témoins cités et les témoignages d'enfant ayant grandi pendant la guerre : on ne parle plus des événements en tant que tels mais de leur impact, de leurs conséquences. [...]
[...] Le survivant est alors considéré comme porteur d'histoire. L'ère du témoin À la fin des années 1970 le génocide est très présent, notamment par l'intermédiaire de témoignages audiovisuels. Après mai 68, on assiste à une démocratisation des acteurs de l'histoire. Au début des années 1980, le spectacle à la télévision est fondé sur les témoignages de gens ordinaires. Quant aux juifs survivants, ils sont appelés les survivors La diffusion d' Holocauste en 1977 La diffusion d'un docu-drama à la télévision va provoquer une vague d'émotion mondiale. [...]
[...] La signification de la langue Le problème de la langue du témoignage mérite également une attention particulière. Il en dit beaucoup sur la perspective adoptée par l'auteur, notamment d'où et de quoi il témoigne, soit de l'univers concentrationnaire, soit de la mort d'un peuple. Elie Wiesel a publié un livre dans deux langues différentes : l'un, détaillé (245 p.) en yiddish (Et le monde se taisait), l'autre, elliptique (178 p.) en français (La nuit). Le second apparaissait clairement comme une séduction du monde non juif et a obtenu un réel succès à laquelle la préface de Mauriac n'était pas étrangère. [...]
[...] C'est finalement en France que le 1er mémorial sera érigé. La difficulté d'écrire sur un monde disparu, l'absence de continuité et le fait que les associations juives étaient fermées sur elles-mêmes a conduit à une mémoire individuelle, dans un groupe clos. L'avènement du témoin Le procès Eichmann marque un véritable tournant : la mémoire du génocide va faire partie de l'identité juive et va intégrer l'espace public. Ce procès est aussi celui des premières fois : première leçon d'histoire, première fois qu'il est question de pédagogie et de transmission, première diffusion télévisée, première présence d'historiens à la barre des témoins. [...]
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