«Rien n'est plus révélateur de la politique d'un ministre, que ses choix budgétaires ».
Et rien n'est sans doute plus vrai dans la politique pénitentiaire conduite en France de 1871 à 1914.
Le compte-rendu qui suit est issu du livre de Robert Badinter « La prison républicaine » (1992) dans lequel, M. Badinter analyse la politique pénitentiaire qui fut menée par les gouvernements successifs du début de la IIIème République, de 1871 à 1914 comme il est dit ci-dessus.
Pendant ces quatre décennies, et quels que soient le Président du Conseil, le Ministre de l'Intérieur ou le gouvernement, les nombreux débats, rapports, propositions de lois destinées à modifier les conditions carcérales n'ont suscité que rejet ou indifférence, ou au mieux ont accouché de réformes de la Loi Pénale.
Mais M. Badinter montre que toute volonté de transformation de la vie carcérale et de son objectif s'est arrêtée à la porte de la prison, système hors du système. Et cela, en contradiction stupéfiante avec les principes affichés de travail d'amendement et de réinsertion du délinquant et malgré la preuve incontestable des conditions dégradantes et pernicieuses de réclusion.
La 3ème République a enraciné des valeurs fortes dans la conscience collective : laïcité, liberté, nécessité de l'instruction scolaire, et a insufflé de nouvelles convictions comme celle que tout homme peut vouloir chercher à s'amender ou que l'enfant délinquant est aussi une victime.
Ces valeurs se retrouvent aussi bien dans une idéologie conservatrice – catholique dite de droite, que républicaine – laïque dite de gauche.
Cependant, si ces deux courants se sont opposés sur le terrain de l'utilité de la peine, la récidive, le sursis ou la libération conditionnelle, aucun n'a remis en cause l'existence même de la prison et ses pauvres moyens de fonctionnement toujours corrigés à la baisse.
Dès lors, il est permis de se demander si les velléités politiques en matière de politique pénitentiaire d'origine humaniste mais inachevées (I) ne masquent pas un choix politique inavouable, c'est-à-dire une absence de courage politique doublée de mépris pour les délinquants et les déviants. (II)
[...] Il leur faudrait un courage politique et un désintérêt électoral tels qu'ils puissent défendre en toute impartialité la rénovation de la vie pénitentiaire sans pouvoir promettre d'améliorer le quotidien et l'avenir des travailleurs. Or, et même en défendant uniquement l'idée que cette rénovation est indispensable à la réinsertion des détenus, (puis à la grandeur du genre humain), cela leur est impossible et leur coûterait leur carrière politique. L'investissement financier que cette transformation nécessite leur serait reproché dès lors qu'ils seraient incapables de transformer le quotidien des bons En définitive, avec les réformes pénales, dont le sursis et la libération, ce statu quo sur l'état des prisons laisse le débat politique libre d'occuper un autre terrain, celui de la transportation des délinquants et de la relégation ou discrimination sociale. [...]
[...] De plus, pour d'éternelles raisons budgétaires, les colonies privées emploient les mineurs à des travaux plus rémunérateurs que formateurs. Enfin, Clémenceau ne propose à la bourgeoisie exaspérée par l'apparition dans leur existence des Apaches et sous le choc de l'affaire Soleilland qu'une solution exclusivement répressive, c'est à dire la prison. Entre la relégation dans l'enseignement puis dans le travail, et celle des jeunes en déshérence, les gouvernements, malgré de timides avancées, s'intéressent surtout à eux, à deux moments de leur existence, celui de leur conception c'est à dire quand le pays souffre de dénatalité, ou lorsqu'il s'agit de les envoyer à la guerre. [...]
[...] L'exigence suscitée de la peine est alors une réaction passionnelle. Pour mieux assurer aux bons que l'auteur du mal purge effectivement sa peine et endure la sanction, il doit souffrir. Le châtiment, la douleur ressentie sont autant de signes que le délinquant ne fait pas partie de la société des bons et chaque souffrance infligée doit lui rappeler l'ampleur de sa faute. Cette condamnation unanime au châtiment est facteur de rapprochement entre les citoyens pour la plupart d'entre eux et participe de la cohésion sociale. [...]
[...] Badinter pense qu'il ne profite à personne. Ce choix politique mal assumé puisque contredit par des idéaux confortés par de nombreux rapports critiques sur l'état des prisons, masque mal une idéologie reposant sur l'expiation et sur l'ordre qui s'exprime le mieux au travers du choix de la transportation et de la relégation/discrimination Une idéologie reposant sur l'expiation et sur l'ordre A1) La théorie d'Emile Durkheim, Même lorsque la récidive baisse, alors que les condamnations par les Cours d'Assises diminuent également, que la correctionnalisation, le sursis et la libération conditionnelle sont utilisées, d'aucuns confondent l'insécurité avec le sentiment d'insécurité vraisemblablement exacerbé par la presse quotidienne et la médiatisation de faits divers. [...]
[...] Leurs détracteurs insistent sur la charge supplémentaire de travail que le suivi judiciaire représente et qualifie la libération conditionnelle d'élément arbitraire qui contredit la souveraineté judiciaire. En revanche, leurs partisans, dont l'administration judiciaire, se félicitent de ces instruments disciplinaires qui contribuent à un certain ordre carcéral. Il faudra néanmoins quelques années pour que d'une part, ils soient vraiment appliqués (75 cas sur la première année), d'autre part, pour que le Garde des Sceaux en recommande par circulaire la pratique en 1897. [...]
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