Anderson part d'un constat simple et évident : le concept de nation connaît un succès général
depuis la Seconde Guerre mondiale, et transcende tous les clivages idéologiques. L'Organisation
des Nations Unies est le symbole de cette légitimité universelle de l'idée nationale. De même, les
mouvements indépendantistes coloniaux luttent au nom de leur singularité nationale. Les
nationalismes sont de plus en plus nombreux au sein même d'états-nation déjà constitués.
Le nationalisme a déjà été objet d'innombrables études historiques, mais celles-ci sont pour
la plupart basées sur le XIXe siècle européen. Le livre d'Anderson s'inscrit dans un mouvement de
réflexion qui débute dans les années 70 et qui se prolonge jusqu'à nos jours qui vise à penser le
nationalisme en tant que phénomène global, à échelle mondiale, et abandonne donc une approche
avant tout centrée sur le Vieux Continent.
[...] Ces phénomènes laissent le champ libre à l'émergence de la communauté imaginée qu'est la nation; mais n'en sont pas les causes directes. C'est en effet l'avènement du capitalisme de l'imprimé qui va engendrer l'essor de ce sentiment. La clientèle première des imprimeurs est le cercle restreint des lettrés, qui s'assimile donc au XVe siècle aux latinistes; le marché atteint donc vite la saturation : porté par la logique capitaliste, on entreprit donc de publier en langues vernaculaires pour s'ouvrir de nouveaux débouchés . [...]
[...] C'est la notion de mémoire, de rappel, qui est au coeur de cette histoire nouvellement retrouvée. Les systèmes éducatifs enseignent cette histoire, et présentent les conflits du passé : guerre de sécession aux Etats-Unis, Saint-Barthélémy en France sont présentés comme autant d'absurdes affrontements entre frères; on néglige pourtant le fait que ce sont respectivement deux états distincts et deux communautés bien particulières qui ont combattu . C'est en fait l'imposition d'un concept contemporain au passé, c'est la lecture du temps, à rebours : la nation, fait daté et circonscrit aux deux siècles précédents éclaire le passé de sa lueur et Charlemagne devient Empereur de la France, tandis que Vercingétorix défend nos ancêtres les gaulois face aux romains, qui ne sont que les italiens d'alors Critiques et débats autour de L'imaginaire national. [...]
[...] Tous ces facteurs expliquent l'émergence d'un sentiment nationaliste qui conduira à la lutte pour l'indépendance et à son acquisition à la fin du XVIIIe siècle. Un nationalisme d'un type différent s'exprime en Europe au XIXe siècle : celui-ci se distingue par l'importance qu'y tient la langue d'imprimerie, mais également par le poids qu'exercent les modèles américains et français. La découverte ou redécouverte au XVIe siècle des civilisations chinoise, indienne, japonaise, aztèque ou inca mit en évidence qu'une partie de l'humanité ( une majorité ) n'avait strictement rien à voir avec la Bible, ni même avec l'Antiquité méditerranéenne. [...]
[...] S'oppose donc une conception du nationalisme comme moyen de domination chargé d'une négativité flagrante et une vision de ce fait comme générateur du système de représentativité, et donc des démocraties libérales telles qu'elles se sont développées à partir du XVIIIe siècle L'article de Fadia Rafeedie est disponible à l'adresse URL suivante : http://socrates.berkeley.edu/~mescha/bookrev/Anderson,Benedict.html ; je traduis ici ( approximativement ) Liah Greenfeld au sujet de Five Roads to Modernity dans Nationalism in Western and Eastern Europe Compared in Can Europe Work? Germany and the Reconstruction of Postcommunist societies, Stephen E. Hanson and Willfried Spohn, University of Washington Press Je traduis. [...]
[...] Anderson trouve une réponse dans la force du nationalisme en tant que modèle : il y a une inertie forte dans l'histoire; les révolutionnaires ne peuvent pas repartir de rien et prennent le contrôle d'un état qui a un passé. Dès lors, les structures de gouvernement sont déjà établies et il est quasiment nécessaire de s'en servir pour les nouveaux maîtres du pouvoir. C'est pourquoi les bolcheviks font de Moscou leur capitale, et s'installent au Kremlin. L'exaltation du nationalisme populaire par les anciennes élites dans une entreprise machiavélique de manipulation des masses est un autre de ces éléments dont les nouvelles directions héritent. Ainsi en font elles usage, comme du reste. [...]
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