Les agriculteurs apparaissent comme les laissés-pour-compte du mouvement qui, à partir de 1936, voit l'extension continue du temps libre : moins nombreux à prendre des vacances, leurs loisirs les singularisent fortement du reste de la population.
Remonter le temps à la recherche des loisirs de la société rurale peut alors apparaître une gageure. Que l'on songe à l'incompréhension paysanne à l'égard des vacances des citadins ou au mépris manifesté par ceux qui ne savent pas comment « tuer le temps », tel qu'on peut le voir dans le témoignage d'Emile Guillaumin. Tiennon fait du riche fermier Fauconnet un portrait sans complaisance : « Il promenait son désœuvrement de la cuisine à l'étable et au jardin […] ne se mêlant d'aucune besogne. J'ai pu me rendre compte pendant mon séjour dans cette maison, que l'oisiveté n'est vraiment pas enviable ».
Pourtant, à l'occasion, quand l'injustice révolte, la conscience d'un esclavage du travail se fait aussi jour. Le même Tiennon, renvoyé de sa métairie, revoit les 25 ans passés comme des « travaux forcés perpétuels », la neige seule lui valant des « jours de demi-repos ». On retrouve la même prise de conscience lorsqu'Auguste Santerre participe aux grèves de 1936.
Mépris de l'oisiveté, absence de repos, mais aussi premiers tardifs désirs d'évasion, autant de témoignages qui nous éloignent des notions modernes de temps libre et de loisir. La conquête de ce nouveau temps de vivre semble ignorer la paysannerie et se faire à l'encontre des valeurs traditionnelles.
Il convient donc de s'interroger sur les formes traditionnelles du loisir rural ainsi que sur les nouveaux usages du temps libre qui se font jour avec l'intégration progressive des campagnes dans l'ensemble national. La question souffre cependant de sources spécifiques
[...] La plus suivie est la Saint Éloi, patron des cultivateurs, le 1er décembre, ailleurs la Saint Vincent (patron des viticulteurs) et la Saint Fiacre (parton des jardiniers) sont parfois célébrées. La fête qui va devenir centrale est celle que le village organise en l'honneur de son saint patron. S'étalant parfois sur plusieurs jours, elle est une rupture majeure de la vie de la communauté - Les fêtes familiales, en particulier les noces qui, dans certaines familles, réunissent plusieurs centaines de personnes. [...]
[...] Par son organisation, elle est entraide : chacun apporte sa part de l'éclairage et des consommations. Elle commence après le repas du soir et se prolonge jusqu'à minuit, cela plusieurs fois par semaine, de la Toussaint aux jours gras. Organisée par les femmes, elle réunit rarement plus d'une quarantaine de personnes (parfois spécialisation par âge ou par sexe). - Forme coutumière de temps libre qui mêle étroitement travail et temps libre : c'est-à-dire paroles, danses, chant, jeux et parfois petit goûter, au travail artisanal. [...]
[...] la veillée qui est une manière de tricher avec le cycle naturel en prolongeant artificiellement la durée du jour. - Conception utilitaire du temps libre, qui affecte surtout les travaux de nature répétitive relevant du petit artisanat : tricot, filage (chanvre et laine) et ravaudage du linge pour les femmes installées au plus près de la source de lumière ; teillage du chanvre, émondage des noix, fabrication de petit outillage (panier, corbeilles en osier, ruches) pour les hommes. Selon les régions, on peut aussi traiter les récoltes (veillée de despouguères des Landes où l'on dépouille le maïs de son enveloppe) et préparer la saison suivante (fabrication et réparation des outils) - Le travail peut être lui même l'occasion de réjouissance : l'apprentissage des enfants est vécue en partie sous la forme d'un jeu ; les louées ont pour une part un aspect de fête (mise à l'épreuve de la force et de l'adresse des valets par des danses et des jeux populaires en Bretagne comme le rappelle Hélias) ; l'émulation joue à plein pendant les grands travaux, d'autant plus que la main d'œuvre employée est souvent jeune, et est sanctionnée par un repas ; quant aux vendanges, elles combinent plusieurs éléments : barbouillages de raison noir du visage des jeunes filles au cours du travail, jeux, chants et danses le soir, et à la fin, cérémonie du dernier char suivi parfois d'un repas. [...]
[...] La lecture à haute voix sert de transition entre la culture orale de la veillée et l'écrit que l'on appréhende encore. - Avec alphabétisation généralisée, la lecture individuelle devient plus fréquente. L'école distribue des livres de prix qui sont conservés avec vénération, et surtout le journal connaît une extraordinaire diffusion, notamment pour ce qui est de la presse locale. Son contenu répond aux attentes paysannes : nouvelles locales, fait divers, feuilleton (un des rares plaisirs dérobés des femmes, cf. Toinou qui les lit à sa mère le dimanche alors qu'elle tricote ou assemble des perles). [...]
[...] En phase d'ascension sociale, la sociabilité s'étiole. Finalement dans ces familles de très petits cultivateurs, le seul loisir autorisé est la promenade du dimanche après-midi sur l'exploitation. - Pour beaucoup d'observateurs, le sort des salariés agricoles paraît plus enviable que celui des petits propriétaires, esclaves volontaires du travail. Tiennon quittant la métairie familiale pour s'embaucher comme domestique, avoue s'habituer facilement. Cela d'autant plus que le travail du salarié agricole ne présent pas la même aliénation que celui du salarié industriel : absence de division du travail le journalier est un homme à tout faire, discipline de travail moins rigoureuse, les tâcherons sont libres de toutes contraintes, et c'est plus le chômage saisonnier que la durée excessive de l'année qui dérange le salarié agricole. [...]
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