L'histoire du vase de Soissons a réapparu pendant la IIIe République dans les manuels scolaires. En effet, les Républicains, toujours soucieux d'inculquer aux jeunes français l'ancienneté et le caractère sacré de la nation, avaient replongé dans les chroniques de Grégoire de Tours et de Saint-Denis pour y trouver cette anecdote et en tirer une leçon digne d'intérêt pour les professeurs d'histoire. Plutôt que de savoir si cet événement a réellement eu lieu, il est plus intéressant de se demander quelles sont les implications, à l'époque, de cette anecdote, mais aussi quelles informations nous pouvons tirer des chroniques la racontant.
[...] Dans les deux cas, on peut s'interroger sur les pensées du roi. Dans les chroniques de Saint-Denis, l'auteur parle de deux épées au lieu de haches, comme dans l'histoire de Grégoire de Tours. Néanmoins, dans les deux récits, il y a une analogie entre le coup du soldat et le coup de Clovis (Karl-Ferdinand WERNER, Les origines, avant l'an mil). Ce procédé de style (une répétition de geste) tend à appuyer la thèse selon laquelle l'anecdote a été largement brodée. [...]
[...] Remontons vers 486. À cette époque, Clovis, roi des Francs, cherche à étendre son royaume vers l'ouest, sur les terres de l'actuelle Normandie et le bassin parisien jusqu'au nord de la Loire. Ces territoires étaient sous le contrôle de Syagrius, un roi d'ascendance romaine. En remportant la bataille de Soissons, Clovis annexe le royaume de Syagrius et, comme le veut la coutume guerrière, pille la ville. Mais Rémi, l'évêque de Soissons, envoie un émissaire à Clovis pour lui demander de rendre un vase de grande valeur appartenant à l'Eglise. [...]
[...] Une autre explication pourrait résider dans l'analyse de la réaction de Clovis. S'il n'a pas voulu punir le soldat au moment où il a brisé le vase, peut-être était-ce parce que celui-ci était libre de renier au roi son droit au butin. On peut penser que le soldat récalcitrant n'était autre que celui qui avait trouvé, et donc ramené au camp, le fameux vase. Or, il existait deux pratiques de partage du butin : le droit romain avait fixé, sous Valentinien III en 440, que le butin était privé à savoir que ce qu'un soldat trouvait lui appartenait de plein droit Les Francs préféraient l'ancienne coutume, qui voulait que le butin soit mis en commun pour ensuite être distribué selon l'ancienneté, la bravoure, le grade, etc. [...]
[...] Là encore, le passage en revue des armées constitue une pratique purement romaine, et on peut encore reprocher à Grégoire de Tours et à Saint-Denis d'embellir légèrement l'histoire pour donner à Clovis un caractère déjà plus romain : Un an s'étant écoulé, Clovis ordonna à tous ses guerriers de venir au Champ-de-Mars revêtus de leurs armes, pour faire voir si elles étaient brillantes et en bon état. (Grégoire de Tours). Peut-être qu'à la punition pour la mauvaise tenue du soldat s'ajoute la vengeance personnelle de Clovis. En tout cas, une chose est sûre et certaine sur Clovis dans l'histoire du vase de Soissons : il est rancunier. [...]
[...] (Grégoire de Tours, Histoire des Francs). Deux choses ressortent de ce récit : Syagrius n'avait pas peur de Clovis, et Clovis, quant à lui, n'avait pas peur d'affronter Syagrius sur son propre territoire (ce qui n'est jamais un avantage). Pourtant, Clovis mit en déroute les armées de Syagrius, qui fut contraint à la fuite vers le sud, à Toulouse. Il trouva refuge chez Alaric II, roi des Wisigoths, qui reçut des menaces de guerre de Clovis s'il ne livrait pas son hôte. [...]
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