L'expression « devoir de mémoire » fait partie aujourd'hui en France du langage courant, à tel point qu'on ne sait plus vraiment comment le définir ni comment ou quand elle est née. Comme l'explique O. Lalieu, ses implications sont multiples et elles touchent à la fois l'enseignement, la culture, l'histoire, la politique et la morale. Son ambiguïté touche avant tout à mon sens au fait que sa signification a évolué au cours du temps, mais aussi que dans cette expression il y a le mot « devoir ». Or celui-ci peut-être défini de différentes manières et sur différents plans, c'est de là je pense que l'on peut trouver une première explication de la complexité de cette notion souvent considérée comme galvaudée, c'est-à-dire qu'elle est banalisée dans les médias et dans les discours quotidiens de différents acteurs qui en font souvent un mauvais usage.
Il me semble donc nécessaire de revenir sur la définition du mot « devoir ». Déjà il y a une double signification puisqu'il est à la fois un verbe et un nom. Une première définition en tant que nom, c'est ce à quoi on est obligé par la morale, la loi, la raison… Le devoir de mémoire serait donc une obligation. La mémoire est un processus naturel et non un impératif, elle est un processus complexe qui ne se définit que comme le négatif de l'oubli et sur lequel l'homme a peu de prise. De ce fait on peut comprendre, les différentes controverses qui existent par rapport à cette expression car il semble à première vue être une association de deux mots contradictoires au sens où il est difficile d'obliger quelqu'un à se souvenir de quelque chose s'il ne le veut pas en tout cas dans le cadre d'une mémoire personnelle ( par opposition à une mémoire collective). C'est plus compréhensible dans le cadre d'une obligation morale vis-à-vis d'une collectivité, d'autant que cette expression est liée, nous le verrons à l'Holocauste de la Seconde Guerre Mondiale. Dans cette première définition du devoir, on entrevoit l'évolution qui s'est établie, le devoir de mémoire apparaissait comme un devoir moral qui s'est ensuite institutionnalisé jusqu'à devenir une obligation par la loi.
[...] 32-33) Or la reconnaissance du génocide juif rendant possible le devoir de mémoire se fait par l'activisme d'un couple, Beate et Serge Klarsfeld. Avec eux, le devoir de mémoire s'élargit : en effet il milite en RFA pour le jugement des principaux responsables de la solution finale pour crime contre l'humanité, mais aussi pour celui des hommes de Vichy, complices. C'est de cette manière qu'ils attirent l'attention des médias et mobilisent l'opinion. Le devoir de mémoire fait son entrée dans l'espace public et s'élargit vers la reconnaissance des crimes des Etats concernés. [...]
[...] D'abord on remarque un élargissement du devoir de mémoire qui ces dernières années, ne se réfère plus seulement au génocide juif pour ce qui est des commémorations et des textes officiels. La loi Gayssot ne fait pas seulement référence au génocide juif mais à tous les crimes contre l'humanité reconnus comme tels. Selon Emmanuel Kattan, il est coutumier d'entendre parler de ce devoir tant le souci du passé occupe une place importante dans la société, et plus particulièrement au sein de la société française . D'ailleurs, il n'hésite pas à le qualifier comme notion incontournable du discours politique et intellectuel français (p. [...]
[...] En 1993, le président F.Mitterand instaure une Journée nationale de commémoration des persécutions racistes et antisémites. Deux ans plus tard, le 16 juillet 1995, Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de l'Etat dans les persécutions anti-juives de la période 1940-1944. Cette prise de position solennelle de Jacques Chirac rompt de fait avec un passé qui ne passe pas Les premiers ministres Lionel Jospin et Jean-Pierre Raffarin ont réitéré et confirmé cette reconnaissance. Celle-ci s'accompagne d'un certain nombre de commémorations qui participent au devoir de mémoire sur la scène publique et à l'élaboration d'une mémoire collective. [...]
[...] On ressent bien ici la définition d'obligation à laquelle il ne pouvait échapper. Parler apparaît pour lui comme un devoir : pour lui l'événement des camps est exemplaire. C'est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau : c'est le noyau de ce que nous avons à dire. Pour les déportés, il s'agissait de se souvenir mais aussi de transmettre une mémoire, un champ plus large qui touche à la fonction du souvenir dans la société. C'était avant tout une lutte, une lutte contre l'oubli et aussi une volonté peut-être d'accuser. [...]
[...] Le devoir de mémoire dont on parle aujourd'hui s'explique en partie par la volonté de ne pas voir les horreurs du XXe siècle se répéter et les commémorations, qu'elles soient faites par l'élaboration de l'élaboration de lieux de mémoires ou la mise en place de journées commémoratives, y participent. Le génocide devient le centre de la mémoire collective et la mémoire du génocide devient un thème politique sacré. Pour l'historien Peter Novick, le devoir de mémoire du génocide devient une religion civile du monde occidental où les rescapés juifs considérés comme des saints séculiers laissent dans l'ombre les résistants déportés. [...]
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