Le 6 février 1934, Édouard Daladier présente à la Chambre des députés son nouveau gouvernement. Le changement de gouvernement fait suite à la découverte, un mois plus tôt, du cadavre d'un escroc, Stavisky. En signe de protestation contre les scandales financier et l'affaire Stavisky dont le pouvoir en place serait à l'origine, les ligues appellent à manifester le jour même de l'investiture de Daladier, à Paris, place de la Concorde, en face de la Chambre des députés. Parmi les organisateurs de la manifestation figurent de nombreuses ligues d'extrême droite comme l'Action française, Solidarité française, les Jeunesses patriotes et les Croix de Feu. Paris devient alors le siège de manifestations violentes qui tournent à l'émeute.
Dans la soirée du 7 février, Gaston Doumergue accepte de conduire un cabinet pour apaiser la situation. Le PCF appelle ses militants à manifester le 9 février, place de la République, pour contester « l'union réactionnaire et fasciste ». Trois jours plus tard, le 12 février, une nouvelle manifestation, rassemblant communistes et socialistes (entre 100 000 et 150 000), appelle cette fois-ci à l'unité d'action pour réagir contre le fascisme. La grève générale emporte un succès à Paris aussi bien qu'en province.
Les manifestations de 1934 restent gravées dans la mémoire collective française comme la plus grave menace faite à la démocratie et à la République parlementaire. Il faut justement se demander en quoi cela est du au rôle particulier qu'a joué la rue lors de ces évènements. Dans quelle mesure ce rôle est-il unique dans l'histoire de la IIIème République. Pour répondre à ces questions, il s'agit d'abord de revenir sur le rapport qu'entretiennent ordre et désordre lors des manifestations de 1934. Il faudra ensuite montrer en quoi ces manifestations consacrent une désunion du peuple parisien qui se reflète dans le trajet qu'empruntent les manifestations.
[...] Lieu de légitimation du pouvoir, la rue peut aussi être le siège d'une contestation de l'autorité. Ainsi affirmation de l'ordre et performance du désordre se succèdent-elles selon les périodes historiques : La question de la rue et de ses usages a constitué depuis 1789 une véritable métaphore de la question politique dans son ensemble. En elles se croisent les questions clefs de rapport de l'ordre et de la violence, du légal et de l'informel. La rue est au carrefour des peurs et des utopies, objet de conquête et source de défiance. [...]
[...] Face à la tentative de milliers de militants en armes de marcher sur le Palais-Bourbon, la Garde mobile tire. Les affrontements se prolongent pendant la nuit et seize manifestants et un policier sont tués. On compte un millier de blessés. Le désordre est alors effectif. La manifestation peut désormais se transformer en coup d'État. L'Assemblée ne doit son salut qu'à la décision des Croix de Feu dirigées par le lieutenant-colonel de La Roque, de ne pas la prendre d'assaut. Mais le renversement du pouvoir pas la force était bien l'objectif des ligueurs comme en témoigne le surnom que donna la presse d'extrême droite aux Croix de Feu, celui de Froide Queues Le théâtre urbain devient le lieu d'un désordre violent qui fait couler le sang. [...]
[...] La rue avait également joué, lors de cet évènement un rôle important. En 1898 des émeutes antidreyfusardes ont lieu à Paris tandis que les dreyfusardes ripostent en juin 1899 à Auteuil et Longchamp. Les manifestations de 1934 consacrent aussi une rupture entre les organisations de gauche, réunies sous la bannière de l'antifascisme, et les organisations d'extrême droite qui font de l'antiparlementarisme leur mot d'ordre. Danielle Tartakowski rappelle à cet égard que les organisations de gauche mettent en scène cette continuité avec les Dreyfusards puisqu'ils font terminer la manifestation du 12 devant la statue Dalou, inaugurée en 1899 par une énorme manifestation des Dreyfusards qui se voulait une réponse aux antidreyfusards défaits. [...]
[...] Conscient que la Libération de Paris était acquise, De Gaulle savait aussi combien il était important de mettre en scène une mythique unité, ce dont témoigne cette phrase restée célèbre : Paris ! Paris outragée ! Paris brisée ! Paris martyrisée ! mais Paris libérée ! libérée par elle-même, libérée par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. [...]
[...] Danielle Tartakowsky évoque ainsi des journées duels qui opposent de part et d'autre des dizaines de milliers de manifestants. Si les manifestations sont conçues pour ne jamais se rencontrer, il s'agit bien pour les deux parties de conquérir l'espace publique pour s‘imposer sur le terrain idéŽologique, les manifestations sont donc en permanence au bord de l'émeute. Nous avons dans cet exposé essayé de montrer pourquoi les manifestations de 1934 sont restées gravées dans la mémoire collective française. Si des historiens ont remis en cause la dimension fasciste des ligues d'extrême droite33 Voire notamment les travaux de René Rémont qui remet en cause l'existence d'une droite fasciste en France leurs manifestations ont été perçues comme une menace pour la République par ceux qui les ont vécu. [...]
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